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Évolution du cerveau et des relations
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Le cerveau des jeunes a évolué, avec 2 cm³ de matière cérébrale en plus par rapport à leurs parents.
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L’espérance de vie d’un couple aujourd’hui est d’environ six ans.
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Un jeune aura en moyenne 4 à 5 couples, 10 à 15 partenaires sexuels et 4 à 5 métiers au cours de sa vie.
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L’amour et l’attachement
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L’amour est une émotion soudaine, tandis que l’attachement se construit progressivement.
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L’idéal est de combiner amour et attachement pour une relation stable.
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Changement de perception du couple et de la sexualité
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La sexualité est devenue plus autonome, souvent détachée de l’engagement.
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De nombreuses femmes privilégient leur développement personnel avant la maternité.
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Le taux de natalité baisse en Occident, notamment en raison de ces changements culturels.
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Importance des 1 000 premiers jours de vie
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Un attachement stable dans la petite enfance est crucial pour le développement émotionnel et mental.
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Les enfants ayant vécu des débuts chaotiques souffrent de troubles affectifs et cognitifs.
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Conséquences de l’individualisme sur l’angoisse et la solitude
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L’individualisme croissant entraîne une perte de liens sociaux, augmentant l’anxiété et l’isolement.
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Malgré des conditions de vie améliorées, les jeunes sont plus anxieux que les générations précédentes.
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Le manque d’attachement après l’accouchement contribue aux burn-out maternels.
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Les sociétés occidentales face à un paradoxe
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Bien que plus pacifiées, elles connaissent des pics d’angoisse et d’isolement.
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Un cerveau sans lien social tend à s’atrophier, selon les recherches en neuro-imagerie.
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Le cerveau des jeunes n’est plus le même que celui de leurs grands-parents. L’espérance de vie d’un couple aujourd’hui, pour un jeune couple, est de six ans. On pense qu’un jeune qui entre dans l’aventure sociale aujourd’hui aura quatre ou cinq couples, dix à quinze relations partenaires sexuels, et quatre ou cinq métiers. Ce ne sont plus du tout les mêmes conditions d’existence que celles que vos parents ont connues.
Dans votre dernier ouvrage, vous dites que les jeunes d’aujourd’hui, les 18-30 ans, refusent de tomber amoureux et donc de s’attacher durablement à un partenaire, ce qui explique de nombreux désordres affectifs. Que voulez-vous dire ? L’amour frappe, Cupidon la flèche, alors que l’attachement se tisse. Tout le monde dit : « Je suis tombé amoureux, amoureuse. » Personne ne dit : « Je suis tombé attaché, » parce que l’amour est une émotion, un mouvement vers l’autre, alors que l’attachement est un tissage de lien, pas toujours conscient. C’est quand il y a un manque qu’on découvre à quel point il était important. Le titre de mon livre dit que quand on tombe amoureux, on se relève attaché. Cela veut dire que l’idéal, c’est d’associer les deux. L’idéal, c’est de tomber amoureux et ensuite d’aménager la vie quotidienne pour rester attaché.
Effectivement, le cerveau des jeunes n’est plus le même que celui de leurs grands-parents. Cela change petit à petit d’une génération à l’autre. On sait que les jeunes aujourd’hui ont 2 cm³ de matière cérébrale de plus que leurs parents et leurs grands-parents. Il n’y a pas de progrès sans effet secondaire, et beaucoup de couples maintenant se font en CDD. On va partir en week-end, on va rester un mois ou deux ou trois ensemble. J’ai passé avec lui ou elle une nuit, une semaine, un mois merveilleux, et puis après, on se sépare, on se serre la main. Alors que, il y a quelques générations, le divorce était interdit. Donc, des couples qui souffraient, qui se faisaient souffrir, restaient ensemble toute leur vie. Ceux qui faisaient souffrir les enfants. Donc, il était nécessaire de tolérer le divorce. Et maintenant, on considère que l’amour est une aventure qui peut être une brève aventure. C’est une surprise des enquêtes récentes : dans les pays civilisés où les filles et les garçons bien élevés ont des relations sexuelles plus tard que dans les milieux pauvres ou dans les pays en difficulté de civilisation. En France, on dit que 6 % des femmes décident de ne jamais mettre au monde d’enfant. En Allemagne, c’est 40 % des femmes diplômées qui décident de ne jamais mettre au monde d’enfant. Et comme elles mettent le développement personnel avant le don de soi pour s’occuper d’un mari et d’un enfant, elles préfèrent s’occuper de soi. Mais un grand nombre d’entre elles changent d’avis vers 30-35 ans.
Quand j’étais gamin, toutes mes copines d’enfance, à 20 ans, elles avaient déjà deux enfants. Maintenant, l’espérance de vie d’un couple est de plus en plus brève. On s’aime bien, et on sait que ça ne va pas durer longtemps. L’espérance de vie d’un couple aujourd’hui, pour un jeune couple, est de six ans. 60 % des jeunes couples vont se séparer. Maintenant, on parle de moins en moins de divorce. Il n’y a pas de contrat de mariage. On pense qu’un jeune qui entre dans l’aventure sociale aujourd’hui aura quatre ou cinq couples, dix à quinze relations partenaires sexuels, et quatre ou cinq métiers. Ce ne sont plus du tout les mêmes conditions d’existence que celles que vos parents ont connues. Mais les personnes se développent mieux, et le prix du développement des personnes, c’est la fracture répétée qui provoque beaucoup d’angoisse.
Vous écrivez que nos sociétés encouragent tellement le développement personnel que cela les isole. La chute des naissances qui touche la France et plus largement l’Occident est elle aussi liée à ce détachement affectif. Les jeunes sont façonnés par la culture. Il n’y a pas une seule pulsion qui ne serait pas façonnée par la culture. Si on a faim, il y a la table qui est un endroit très cultivé. Il y a le lit qui est un endroit sacré. Ça fait des enfants. Il n’y a pas longtemps que ça fait du plaisir. Le lit, l’acte sexuel, était consacré à mettre au monde des enfants pour adorer Dieu. La sexualité avait une fonction sacrée, religieuse, qui existe encore au Proche-Orient. On entend aujourd’hui encore les jeunes au Proche-Orient dire : « De toute façon, on va gagner la guerre parce que nos femmes mettent au monde sept à huit enfants par femme, alors que vous, en Occident, vos femmes ne mettent au monde que 1,52 enfant. » C’est la première fois dans l’histoire de France qu’on a 80 ans sans guerre à la maison. C’est jamais arrivé. Les femmes n’étaient pas des personnes pendant 300 000 ans. Elles étaient données aux mariés pour que les seigneurs associent les armées, pour que les paysans associent la terre, pour que les industriels associent leurs entreprises. Or, notre culture aujourd’hui valorise tellement le développement des personnes, ce qui fait que l’amour change de signification. Beaucoup de jeunes ont peur du coup de foudre. Ils ont peur d’être prisonniers de l’attachement. Ils considèrent que l’attachement est un lien, et la sexualité devient autonome en essayant d’éviter l’engagement. La passion amoureuse peut déclencher des angoisses tellement c’est intense, ou de tisser le lien d’attachement qui fait que je risque, moi homme, d’être prisonnier de cette femme à laquelle je suis très attaché. Et on voit de plus en plus des femmes se mettre à faire aujourd’hui ce qu’elles reprochaient aux hommes hier : le coup d’un soir. Ça existait toujours, mais maintenant, c’est exprimé.
Dans votre ouvrage, vous expliquez que le lien affectif crucial au développement de l’enfant et du futur adulte doit être tissé lors des 1 000 premiers jours de sa vie. Vous citez en exemple les 37 000 enfants confiés à l’ASE qui ont été abîmés par leurs 1 000 premiers jours chaotiques. Qu’est-ce que cela veut dire ? Malgré la déportation de ma famille, ma mère, mon père, pratiquement toute ma famille a disparu à Auschwitz en 1942-1943, quand j’étais enfant. Et malgré tout, je ne sais pas comment elle a fait, ma mère a réussi à bien me démarrer dans la vie. Malgré l’angoisse, la peur dans lesquelles elle devait vivre tous les jours, elle m’a offert des 1 000 premiers jours réussis. C’est-à-dire que moi, bébé enfant, j’ai eu une sécurité affective qu’elle m’a donnée, ce qui fait que j’ai pu, quand même, continuer à me développer tant bien que mal. Alors qu’on voit actuellement que quand une famille est dysfonctionnelle, ça n’aide pas les enfants à bien se développer. Et il y a des quartiers, il y a des cultures locales qui admirent la brutalité, la petite délinquance des garçons. Et quand ces garçons se retrouvent avec une petite peine de prison, leur vie prend sens, alors qu’elle n’avait pas sens avant. Ils étaient, ils cédaient à l’impulsion, la bagarre, le vol, la petite délinquance, et tout d’un coup, en prison, ils découvrent quelqu’un, un gourou qui leur dit le sens, et c’est de défendre Dieu, c’est de tuer ceux qui n’ont pas ta couleur de peau, ceux qui n’ont pas tes croyances. Il manquait de lien stabilisant. Ils n’ont pas appris à parler, ils n’ont pas appris à exprimer leurs désirs. Donc, ils s’inhibent, et l’inhibition, c’est très fatigant, ça consomme beaucoup d’énergie. Et ça, c’est donc associé, de temps en temps, avec l’explosion, le passage à l’acte, la brutalité, le viol. On voit une atrophie des deux lobes préfrontaux, socle neurologique de l’anticipation, une atrophie des deux circuits limbiques, deux anneaux à la face qui est le socle neurologique de la mémoire. S’il n’y a pas d’altérité, il n’y a rien à mettre en mémoire. Donc, le cerveau dysfonctionne. S’il n’y a pas d’altérité, quelqu’un a aimé, il n’y a pas d’anticipation. On soutient pas le regard, on babille pas, on tend pas les bras. Il n’y a pas la seule activité possible, c’est le comportement au centre. Nos sociétés et les rapports humains n’ont jamais été aussi pacifiés. Comment expliquer alors les pics d’angoisse, de solitude, ou encore d’isolement ? Ça, c’est dû à une culture qui valorise le développement de la personnalité, et l’effet secondaire de ce progrès, c’est la dilution du lien. Cela explique que les jeunes aujourd’hui, les enfants aujourd’hui, qui n’ont jamais été autant respectés, qui n’ont jamais eu des conditions de développement physique aussi bonnes qu’aujourd’hui, n’ont jamais été autant anxieux qu’aujourd’hui. Depuis la pandémie, le confinement, les chiffres sont stupéfiants. À Montréal, on a évalué que 39 % des adolescents étaient anxieux au point d’en souffrir. Ils ont des conditions de confort que nous, on n’avait pas. Ils sont anxieux parce qu’ils ont perdu ce lien stable, sécurisant qu’on appelle l’attachement. Les femmes en Occident font plus de burn-out que les femmes africaines. Les femmes occidentales sont plus riches, font des études, apprennent un métier, ce qui est difficilement le cas pour les femmes africaines. Mais les femmes occidentales, surtout quand elles mettent au monde un enfant, elles sont seules, sans attachement. Donc, elles perdent le tranquillisant naturel qui est la relation affective, et elles font une dépression d’épuisement. Depuis que, après nos travaux, on a réussi à obtenir l’allongement du congé paternité, les dépressions périnatales des jeunes mères ont diminué de 50 % en un an. On ne peut pas vivre seul. J’ai travaillé au Japon, et beaucoup de philosophes japonais me disaient : « La notion d’individu est une illusion de la pensée occidentale. » Et sur le plan neurologique, la neuro-imagerie confirme qu’un cerveau seul est un cerveau atrophié.