La biologie des émotions / Partie 1 – Manuel Émotionnel

L’autopoïèse, concept clé de la biologie, décrit la capacité d’un système vivant à s’auto-organiser et à maintenir son équilibre interne (homéostasie). Appliquée aux émotions, elle révèle que celles-ci sont des manifestations naturelles de notre organisation vivante, jouant un rôle central dans notre survie et notre adaptation.

Les émotions comme signaux biologiques

  • Peur : Réponse à une menace, prépare à la fuite ou au combat.
  • Colère : Indique une intrusion ou injustice, pousse à rétablir des limites.
  • Tristesse : Invite au recul et à l’adaptation après une perte.

Ces émotions sont des réactions automatiques mais significatives, reflétant les interactions entre notre corps et notre environnement pour préserver notre intégrité.

L’autoréférentialité émotionnelle

Nos émotions nous permettent de nous reconnaître comme entité distincte face à notre environnement. Elles traduisent une dynamique interne : chaque émotion résulte de la manière dont une situation impacte notre bien-être ou nos valeurs.

Transformer nos émotions

Les émotions, bien que naturelles, ne sont pas immuables. Avec la conscience et la pratique, elles peuvent être apprivoisées et transformées :

  • La peur, par l’exposition et la réévaluation, peut devenir courage.
  • La colère peut être canalisée pour inspirer des actions constructives.
  • La tristesse peut offrir une opportunité de réflexion et de croissance.

Conclusion

Nos émotions ne sont pas des contraintes à surmonter, mais des alliées dans le maintien de notre équilibre intérieur. En comprenant leur nature et leur fonction, nous pouvons les transformer et mieux vivre avec elles, renforçant ainsi notre capacité à évoluer en tant qu’êtres humains.

L’autopoïèse, loin d’être un concept abstrait, éclaire notre compréhension des émotions comme des outils puissants d’adaptation et de transformation personnelle.

Nous sommes bien plus qu’un simple tas de neurones. Cette phrase, évidemment, résonne fortement avec moi parce qu’elle met en branle l’approche réductionniste de la pensée, de la cognition, de l’esprit humain. Cette approche, évidemment, nous passionne depuis des générations et des générations – depuis toujours, sans doute.

On se demande pourquoi l’être humain, arrivé à ce qu’il est, est capable et doué de raisonnement, de réflexion, etc. Malheureusement – je pense vraiment qu’on peut dire malheureusement – nous sommes, en Occident, les héritiers de René Descartes et de sa pensée dualiste, qui sépare le « je », le « moi », du reste du monde. Comme si nous étions des agents nous baladant dans un monde qui nous est externe, qui se dévoilerait devant nous sans aucune forme de connexion.

On est séparés les uns des autres, et on agit de cette manière-là. Alors, si tout est séparé, si les objets sont véritablement « objets » – c’est-à-dire qu’ils se jettent devant nous – si nous sommes donc séparés des choses mêmes qui nous entourent, le corps et l’esprit aussi, il y a d’un côté le corps, il y a d’un côté l’esprit.

Partant de ce principe-là, et si on continue à utiliser ce logiciel de réflexion, on en arrive éventuellement à séparer l’esprit et la matière – ce qui est de l’ordre des idées, des sensations, des émotions, des ressentis – et ce qui est palpable, tangible : la matière.

Enfin, on considère les émotions, comme je viens de le dire, comme des processus nébuleux, très peu liés à un agissement qui serait la résultante de la rencontre de l’environnement et de l’individu. « C’est dans la tête, c’est psychologique, les émotions, après tout, on n’y comprend rien. »

Donc, ce que je vous propose, c’est de regarder en face les avancées que l’on a faites dans les différents domaines et de tenter quelque chose. Tenter une nouvelle approche. Tenter ce qu’on appelle en littérature un essai. C’est simplement une tentative, une proposition que je vous fais – à la manière, évidemment, bien plus simpliste et en toute humilité, d’Hofstadter quand il a écrit son livre « Gödel, Escher, Bach ».

Dans ce livre, il a tenté de faire dialoguer les mathématiques, la musique, et la peinture. Un livre fondamental, un coup de génie. Si vous ne l’avez pas encore lu, je vous conseille, si vous voulez vous lancer dedans pour 2025, de supprimer toutes vos autres lectures et de ne vous concentrer que sur ce livre. Tellement il est dense, complexe, mais tellement enrichissant.

Donc, les émotions. Pour aborder ce thème des émotions, qui m’est venu en filigrane comme lumineux, comme étant le bout de l’antenne noire de mes recherches, je souhaiterais essayer de faire dialoguer :

  1. L’intelligence artificielle, par la figure de Joe Chabac, qui est sans doute l’un des chercheurs les plus reconnus actuellement et, pour moi, un véritable génie.
  2. Carl Friston, neuroscientifique de renom – peut-être le plus célèbre actuellement, en tout cas le plus respecté.
  3. La biologie, et ultimement la neurobiologie, car cela englobe une vision plus large des sciences du vivant, notamment avec l’autopoïèse et l’inaction, représentées par Francisco Varela.

Ces trois domaines, portés par ces trois grandes figures, forment un projet d’exploration, non pas une théorie arrêtée ni un dogme. Ce n’est pas une méthode à laquelle je vais donner un nouveau cadre. C’est une rencontre de branches des sciences cognitives que j’englobe dans mon livre « Le Manuel Émotionnel ».

À la manière d’un manuel sportif ou d’un manuel de musique pour jouer du piano, ce manuel n’est qu’un prisme, un outil, comme un marteau. Tous les résultats que vous allez pouvoir obtenir avec ce manuel ne dépendent que de l’exécution, que de vous.

On en revient toujours à cette chère phénoménologie, portée par Edmund Husserl, Maurice Merleau-Ponty, et plus récemment Francisco Varela, que j’ai déjà cité. C’est-à-dire qu’il ne faut jamais oublier l’expérience de première main. Peu importe le concept que l’on considère, il s’agit toujours de quelque chose qui va être vécu par une personne.

Le manuel que je vous propose, vis-à-vis de la compréhension de nos émotions, de notre regard sur elles, de notre manière de les appréhender, de les dépasser, de les transformer, ne dépend que de vous. Tout dépend de comment vous allez manipuler les informations que je vais vous transmettre.

Commençons donc par l’aspect biologique. Dans les années 70, Humberto Maturana et Francisco Varela, scientifiques de renom, experts dans la compréhension des systèmes nerveux et sensorimoteurs, sont devenus célèbres grâce, entre autres, à la théorie de Santiago.

Maturana et Varela, d’origine chilienne, ont travaillé de concert. Varela, étant l’élève de Maturana, a contribué à proposer la théorie de l’autopoïèse afin de qualifier les systèmes vivants. Mais qu’est-ce qu’un être vivant ? C’est une question fondamentale, extrêmement large et difficile à répondre.

Après tout, est-ce qu’on se pose assez souvent cette question ? Quand on utilise les mots « vie » et « vivant », sait-on réellement de quoi on parle ? Prendre du recul sur ces termes les plus génériques est souvent révélateur de ce qu’on ne comprend pas.

Une sagesse ancestrale, transmise de génération en génération, repose sur ce précepte socratique : « Je sais que je ne sais pas. » Mais le meilleur moyen de réaliser cela, c’est de se demander : « Quels sont les mots que j’utilise le plus souvent, et est-ce que je les maîtrise vraiment ? »

De la même manière, on peut se demander : « Est-ce que je maîtrise mon environnement ? » Par exemple, les objets que j’utilise quotidiennement – serais-je capable de les fabriquer ? Comprendre comment ils fonctionnent ?

Prenons l’exemple d’une voiture. Personnellement, je n’ai aucune connaissance en mécanique. Je serais incapable de réparer un moteur, tout comme je ne saurais fabriquer le bureau sur lequel j’écris. Cela montre que nous maîtrisons très peu notre environnement.

Et maintenant, vis-à-vis de nos émotions ? C’est encore pire. D’où viennent-elles ? Comment fonctionnent-elles ?

Concernant les êtres vivants, là encore, c’est une lacune. Pourtant, depuis les années 70, nous disposons d’une définition qui semble appropriée : celle de l’autopoïèse.

Qu’est-ce que l’autopoïèse ?

Autopoïèse signifie littéralement « autocréation ». « Auto » pour soi-même, « poïèse » pour création. Selon cette vision, un organisme vivant est un système clos et autoréférentiel qui maintient son organisation interne, malgré les perturbations externes, en créant et en renouvelant continuellement ses propres éléments.

Prenons chaque mot, car chaque mot est important. Un système clos, cela signifie qu’en biologie, il faut une membrane. Quelque chose qui délimite, mais jamais parfaitement. Une barrière n’est pas une frontière imperméable, mais une zone d’échange.

La première unité fonctionnelle définie comme « vivante » en biologie est la cellule, avec sa double membrane.

L’autopoïèse parle de systèmes clos. C’est pourquoi de nombreux chercheurs, dont Antoine Béchamp, contemporain de Pasteur, ont insisté sur le fait que tout organisme vivant est, en un sens, liposoluble et hydrophobe – c’est-à-dire qu’il ne se mélange pas à l’eau.

C’est grâce à cette double membrane lipidique que la cellule évolue dans un milieu aqueux sans se dissoudre elle-même. La capacité de se distinguer de son environnement est la première étape, la condition sine qua non, à l’émergence du sentiment d’identité.

Si je suis partout à la fois, comment avoir un sentiment de « moi » ou de « je » ? Il faut une interface, une séparation. Pour reprendre les termes de Francisco Varela, il faut un système qui soit clos sur lui-même pour qu’il soit autoréférentiel – c’est-à-dire qu’il puisse se référer à lui-même.

L’autopoïèse nous dit qu’un système autopoiétique maintient son organisation interne. Pour illustrer cela, prenons l’exemple d’une cellule : elle maintient ses organites internes (noyau, appareil de Golgi, mitochondries, réticulum endoplasmique, etc.) en bonne santé, malgré les perturbations extérieures.

Ces perturbations incluent les changements constants dans son environnement extérieur : composition du sang, variations de sucre, de protéines, d’hormones… Malgré tout cela, elle survit.

Comment ? En créant et en renouvelant continuellement ses propres éléments. C’est un peu comme une usine qui, tout en étant soumise à des flux changeants de matières premières, fabrique elle-même ses propres briques, ses propres machines.

Voilà la définition de l’autopoïèse, qui constitue la première pierre de la compréhension du rôle de nos émotions.

Cette définition de l’autopoïèse, aussi précise qu’elle soit, reste encore abstraite pour beaucoup. Il faut donc aller plus loin et comprendre comment cette idée se traduit concrètement dans notre vie quotidienne, en particulier vis-à-vis de nos émotions.

Le lien entre autopoïèse et émotions

Pourquoi parle-t-on de biologie, de membranes cellulaires, pour expliquer quelque chose d’aussi humain et complexe que les émotions ? Parce que nos émotions sont elles-mêmes une expression de cette organisation vivante.

Pensez-y : à chaque instant, votre corps lutte pour maintenir son équilibre interne, ce qu’on appelle l’homéostasie. Que ce soit votre température corporelle, votre niveau de sucre dans le sang, ou votre rythme cardiaque, tout est en constante régulation.

Et quand quelque chose menace cet équilibre, vous le ressentez immédiatement. Une montée de colère, une poussée de peur, une vague de tristesse… Ce sont des signaux.

Ces signaux émotionnels ont une fonction biologique : ils vous indiquent que quelque chose, dans votre environnement ou à l’intérieur de vous, nécessite une réponse pour préserver votre intégrité.

Prenons un exemple concret :

  • La peur. Lorsqu’un danger est perçu, votre système nerveux active une réponse de combat ou de fuite. Votre rythme cardiaque augmente, vos muscles se préparent à l’action, et votre attention se focalise sur la menace. Ce n’est pas seulement une sensation désagréable, c’est un mécanisme de survie.

  • La colère. Elle survient souvent lorsque vous percevez une injustice ou une intrusion dans votre espace. C’est un signal vous poussant à agir pour rétablir des limites ou protéger ce qui est important pour vous.

  • La tristesse. Elle peut être perçue comme une émotion négative, mais elle a une fonction essentielle : elle vous invite à ralentir, à réfléchir, et à vous adapter à une perte ou à un changement.

En résumé, nos émotions ne sont pas des obstacles à surmonter, mais des alliées dans le maintien de notre autopoïèse.


L’autoréférentialité émotionnelle

Pour approfondir, revenons à l’idée clé de l’autopoïèse : l’autoréférentialité.
Tout système vivant est capable de se référer à lui-même, de se reconnaître en tant qu’entité distincte.

C’est là que les émotions jouent un rôle crucial. Elles sont des manifestations de cette reconnaissance de soi. Quand vous ressentez une émotion, vous devenez conscient d’une interaction entre vous et votre environnement.

Exemple :

  • Vous êtes joyeux en entendant une bonne nouvelle. Pourquoi ? Parce que cette information, externe à vous, est interprétée comme bénéfique pour votre bien-être.

  • Vous êtes frustré en ratant un objectif. Pourquoi ? Parce que cela heurte votre propre vision de ce que vous auriez dû accomplir.

Ces exemples montrent que toutes les émotions naissent d’une relation dynamique entre vous (en tant que système vivant) et ce qui vous entoure.


Transformer nos émotions

Si nos émotions sont le reflet de notre autopoïèse, cela signifie qu’elles sont malléables.
Elles ne sont pas gravées dans le marbre, mais sujettes à l’apprentissage, à l’évolution.

Prenons l’exemple de la peur. Une personne ayant vécu une expérience traumatisante peut développer une peur disproportionnée dans certaines situations. Mais grâce à des outils comme la pleine conscience, la thérapie cognitive ou l’exposition progressive, cette peur peut être transformée.

De même, la colère, souvent mal perçue, peut être recanalisée en énergie constructive.
Par exemple, au lieu de réagir impulsivement face à une critique, vous pourriez apprendre à utiliser cette colère pour vous motiver à vous améliorer.

La clé de la transformation émotionnelle réside dans la conscience. Lorsque vous comprenez que vos émotions sont des signaux, et non des verdicts définitifs, vous pouvez commencer à les apprivoiser.


Conclusion

L’autopoïèse, concept issu de la biologie, nous offre une nouvelle perspective sur nos émotions. Elles ne sont pas des forces extérieures qui nous contrôlent, mais des expressions de notre propre organisation interne.

En apprenant à écouter, comprendre et transformer nos émotions, nous devenons véritablement maîtres de notre équilibre intérieur.

Cela peut sembler une tâche complexe, mais souvenez-vous : chaque pas vers une meilleure compréhension de vous-même est une victoire sur l’ignorance. Et comme disait Socrate, « Connais-toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les dieux. »