Yoga de l’amour divin

Yoga signifie union le yoga dit bhakti 

à donc pour objectif de s’unir a l’amour

 ce qui est le principe même du mariage

a travers l’époux on aime le bien aimer 

dans ce livre Sri Aurobindo Yogi Indien

replace l’importance de l’intelligence

qu’il y’a dans les mystères de l’amour 

 

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   LA SYNTHESE DES YOGA Tome 2   Sri Aurobindo     Le yoga de la connaissance intégrale  Le yoga de l’amour Divin   Traduit de l’anglais par La Mère     Quatrième de couverture « La vie, la vie seule est le champ de notre yoga, et non quelque au-delà lointain, silencieux et extatique », déclare Sri Aurobindo.

Dans ce monde harcelé où nous vivons, Sri Aurobindo nous offre une nouvelle synthèse des systèmes de yoga, permettant aux chercheurs encombrés que nous sommes, non seulement de comprendre les sources cachées de notre existence, mais de mettre en œuvre les forces latentes de notre conscience.

Car, estime Sri Aurobindo, « la vérité et la connaissance sont un vain rayon si la connaissance n’apporte pas le pouvoir de changer le monde ».

« Le yoga, dit Sri Aurobindo, est potentiellement l’un des éléments dynamiques de la vie future de l’humanité. » Or, nul mieux que Sri Aurobindo, qui vécut quatorze années de sa jeunesse en Occident avant de redécouvrir l’Inde à vingt ans et de commencer son yoga en pleine action révolutionnaire, ne pouvait réunir en un yoga intégral la triple voie des œuvres, de la connaissance et de l’amour, débouchant sur un « yoga de la perfection de soi », ou yoga de la surhumanité de demain.

Car, dans la vision de Sri Aurobindo, l’homme est un « être de transition » et le yoga, un moyen de « compresser l’évolution naturelle » pour accéder plus rapidement à l’être du prochain cycle, le cycle Supramental.

La Synthèse des yoga (trois tomes) constitue le livre de base de tous ceux qui veulent non seulement étudier mais mettre en pratique le yoga intégral de Sri Aurobindo.

Inconnu(e)     Note de l’éditeur   Pour la première fois en français, nous présentons le texte intégral de l’œuvre magistrale de Sri Aurobindo, La Synthèse des Yoga, que nous avons divisée en trois tomes :   I.

La recherche spirituelle vise à un état de connaissance qui nous permet de toucher cet Éternel, Infini et Absolu, d’entrer en Lui ou de le connaître par identité ; elle aspire à une conscience autre que notre conscience ordinaire des idées, des formes et des choses, à une connaissance qui n’est point ce que nous appelons connaissance, mais quelque chose qui existe en soi, qui est perpétuel et infini.

Les systèmes traditionnels, quelles que soient leurs différences par ailleurs, se fondent tous sur la croyance ou la perception que l’Éternel et Absolu ne peut être, ou du moins habiter, que dans un pur état transcendant, un état d’existence non cosmique ou de non-existence.

Et cet état de connaissance que nous devons atteindre, cette autre conscience non temporelle, est le Nirvâna, l’extinction de l’ego, la cessation de toutes les activités mentales, vitales et physiques, ou de toute activité quelle qu’elle soit, une suprême immobilité illuminée, la pure béatitude d’une tranquillité impersonnelle absorbée en soi et ineffable.

Et encore, cette action même doit-elle se réduire à la pratique des rites du culte et des devoirs de la vie tels qu’ils sont prescrits et ordonnés à la lettre par le Shâstra [Les Écritures sacrées.]

L’action peut préparer au salut, elle ne peut pas le donner.

Toute persistance prolongée dans l’action est incompatible avec le progrès suprême et peut être un obstacle insurmontable à la réalisation du but spirituel.

L’état d’immobilité suprême est le contraire même de l’action et ne peut être atteint par ceux qui persistent dans les œuvres.

Et même la dévotion, l’amour, le culte, sont simplement des disciplines pour les âmes qui ne sont pas mûres ; au mieux, ce sont les meilleures méthodes dont dispose l’Ignorance.

Car elles sont offertes à quelque chose d' »autre », quelque chose de plus haut et de plus grand que nous-mêmes ; mais dans la connaissance suprême, il n’est rien de tel, puisqu’il n’y a qu’un seul moi, ou pas de moi du tout, et par conséquent personne pour faire le culte et offrir l’amour et la dévotion, ni personne pour les recevoir.

Ce pur jnânayoga procède par l’intellect, bien qu’il finisse par transcender l’intellect et ses opérations.

Une vérité fonde cette attitude, et une expérience semble la justifier.

Et dans la hiérarchie de nos fonctions psychologiques, la Pensée est plus proche de ce Moi, d’une certaine manière, ou du moins plus proche de cet aspect du Moi, Connaisseur conscient de tout, qui regarde toutes les activités mais peut se détacher de toutes.

Car son mouvement le plus caractéristique l’incline à être le témoin des choses, un juge, un observateur désintéressé plus qu’un participant ardent ou un travailleur passionné de travail, et, très facilement, elle peut parvenir à un calme spirituel ou philosophique et à un détachement lointain.

Dans toutes ces activités, s’exprime la Volonté consciente, ou Shakti de l’Esprit, qui est poussée à manifester son être en d’infinies manières ; et cette Volonté ou ce Pouvoir n’est pas ignorant, il fait intimement corps avec sa propre connaissance de soi et avec sa connaissance de tout ce qu’il a pour mission d’exprimer.

Connaître cette volonté en nous-mêmes et dans l’univers, et la suivre jusqu’à ses fins divines, quelles qu’elles puissent être, est sûrement et nécessairement le moyen le plus élevé et l’aboutissement le plus vrai de la connaissance comme des œuvres, pour le chercheur dans la vie comme pour le chercheur dans le yoga.

Puisque la pensée n’est pas la partie la plus haute ni la plus forte de la Nature, puisqu’elle n’est même pas le seul critère de la Vérité, ni le plus profond, elle ne devrait pas poursuivre exclusivement sa propre satisfaction, ni prendre cette satisfaction pour le signe qu’elle a atteint à la Connaissance suprême.

Certes, une logique abstraite aboutit nécessairement à une Négation infinie et vide ou à une Affirmation infinie, également vide, comme y sont arrivés les systèmes anciens ; car, étant abstraite, elle tend à une abstraction absolue, et cette Négation comme cette Affirmation sont les deux seules abstractions qui soient absolument absolues.

Il est très possible que le but de la Volonté Suprême soit un sommet où l’être tout entier est destiné à recevoir sa satisfaction divine, les hauteurs éclairant les profondeurs, et l’Inconscient matériel se révélant divin au contact de la Supraconscience suprême.

Traditionnellement, la voie de la Connaissance procède par élimination ; elle rejette successivement le corps, la vie, le cœur, la pensée même, afin de disparaître en l’immobilité du Moi ou dans un Néant suprême, un Absolu indéfini.

Mais la voie de la connaissance intégrale suppose que nous sommes destinés à un accomplissement intégral, et que la seule chose à éliminer est notre propre inconscience, est l’Ignorance et les conséquences de l’Ignorance.

Derrière la voie traditionnelle de la Connaissance et justifiant son procédé intellectuel d’élimination et de retrait, il existe une expérience spirituelle irrésistible.

Cette expérience représente la plus haute sublimation du mental spiritualisé quand il regarde résolument par-delà sa propre existence.

Si grande soit-elle, c’est seulement l’expérience écrasante du Mental quand il regarde ce qui est au-delà de lui-même et de tout ce qu’il peut concevoir.

Ce Suprême a ses relations avec notre être individuel et ses relations avec l’univers, et il transcende l’un et l’autre, l’âme et l’univers.

Là, les termes abstraits de la raison pure et les interprétations du mental disparaissent, ou ils sont convertis en une vision concrète de l’âme : ils se changent en la formidable tangibilité de l’expérience spirituelle.

Il est vrai que, en eux-mêmes, le mental et la vie, et tout ce qui se trouve ici-bas, n’ont pas de sens, et vouloir leur donner un sens séparé, en soi, c’est vivre dans l’illusion, mâyâ ; mais ils ont un sens suprême en le Suprême, un Pouvoir absolu en l’Absolu, et c’est cela qui leur assigne leur valeur relative présente et rattache leur relativité à l’absolue Vérité.

Telle est l’expérience qui réconcilie tout, le fondement d’une connaissance de soi et d’une connaissance du monde profondément intégrales et intimes.

Une connaissance spirituelle qui veut parvenir au vrai Moi en nous doit donc rejeter toutes les apparences trompeuses, comme le fait la voie traditionnelle de la connaissance.

La théorie matérialiste confond la création et le Pouvoir créateur, le moyen d’expression et Cela qui est exprimé et s’exprime.

La force de vie est le dynamisme d’une conscience qui la dépasse.

Le Mental ici-bas, en apparence, est une création de la Vie, mais, en fait, il est le sens ultérieur de la Vie (mais non son sens ultime) il est ce qui est derrière elle, une formulation plus consciente de son secret ; le Mental n’est pas une expression de la Vie, mais de quelque chose d’autre dont la Vie elle-même n’est qu’une expression moins lumineuse.

Éliminant toutes ces choses – la Matière, la Vie et le Mental -, la voie traditionnelle de la connaissance arrive donc à la conception et à la réalisation d’une pure existence consciente, inconditionnée par le mental, par la vie et par le corps, qui est consciente d’elle-même et porte en soi sa propre béatitude, et elle arrive à son expérience positive ultime, Atman, le Moi, la nature originelle et essentielle de notre existence.

Ici, enfin, il y a quelque chose de centralement vrai, mais, dans sa hâte d’y arriver, cette connaissance suppose qu’il n’existe rien entre le mental pensant et le Très-Haut, bouddhéh paratastou sah, et, fermant les yeux en son « samâdhi » [Extase ou transe yoguique.

Ou si elle reste éveillée, c’est dans l’expérience du Suprême la plus haute que puisse atteindre le Mental qui s’annule, et non dans le suprême du Suprême, parâtpara.

Le Mental ne peut percevoir le Moi que dans une minceur spirituelle qui est mentale encore, il ne perçoit qu’une réflexion mentale de Satchidânanda.

Mais ce n’est pas par un saut volontairement aveugle en l’Absolu que s’obtient la vérité la plus haute, la connaissance de soi intégrale, c’est par un passage patient par-delà le mental et une entrée en la Conscience de Vérité où l’on peut connaître l’Infini, sentir l’Infini, le voir, l’expérimenter dans toute la plénitude de ses richesses sans fin.

Et ce Moi, cet Esprit ne peut s’exprimer par les généralisations abstraites du mental ; toutes les descriptions inspirées qu’en ont fait les voyants et les mystiques ne peuvent épuiser son contenu ni ses splendeurs.

Tous les termes ultimes auxquels nous pouvons réduire l’univers – Force et Matière, Nom et Forme, Pourousha et Prakriti – ne sont pas encore entièrement ce qu’est réellement l’univers en lui-même ni dans sa nature.

Car, s’il découvre son moi, il découvre en même temps que son vrai moi n’est pas cette personnalité naturelle, pas cette individualité créée, mais, dans ses rapports avec autrui et avec la Nature, un être universel, et, dans sa condition supérieure, une parcelle ou une face vivante d’un suprême Esprit transcendant.

Et pourtant, nous pouvons dire que c’est l’Un, que c’est l’Infini, que c’est la Béatitude, la Conscience, l’Existence ineffables.

Car il vit dans la prison close des constructions et des représentations nécessaires à son action, mais qui ne sont pas la vraie vérité de la Matière ni de la Vie ni du Mental ni de l’Esprit.

Car le Suprême auquel nous nous assimilons, l’Absolu, le Transcendant en qui nous entrons, possède toujours la conscience ultime et complète que nous recherchons, et cette conscience ne l’empêche pas de maintenir son jeu dans le monde.

Car le Suprême, si caché soit-il à nos yeux maintenant, est ici-bas dans le monde, et il y est tout autant qu’il peut l’être dans l’extinction de soi la plus absolue et la plus ineffable, ou dans le Nirvâna le plus intolérant.

Il apparaît donc tout de suite que la connaissance recherchée par le yoga diffère nécessairement de ce que les hommes entendent d’habitude par ce terme.

Il existe même un yoga que l’on peut utiliser pour le plaisir de soi autant que pour la conquête de soi, pour faire du mal aux autres, autant que pour les sauver [Le yoga développe le pouvoir, il le développe même quand nous ne le désirons pas ou que nous n’y visons pas consciemment ; et le pouvoir est toujours une arme à deux tranchants : il peut servir à faire du mal et à détruire autant qu’à aider et à sauver.

Au contraire, le yoga cherche une existence plus haute et vraiment consciente qu’il considère comme son seul objet véritable, une existence que notre humanité à demi consciente ne possède pas encore et qu’elle ne peut atteindre que par une ascension spirituelle où elle se dépasse elle-même.

La connaissance yoguique cherche à entrer dans une conscience secrète par-delà le mental, une conscience que l’on ne trouve qu’occultement ici-bas, cachée au fond de toute existence.

Car, seule, cette conscience connaît vraiment, et c’est seulement en la possédant que nous pouvons posséder Dieu et connaître correctement le monde, sa nature réelle et ses forces secrètes.

La connaissance que peuvent nous donner les sens et le raisonnement intellectuel à partir des données des sens n’est pas la vraie connaissance ; c’est la science des apparences.

Et même les apparences ne peuvent pas être connues correctement à moins de connaître d’abord la Réalité dont elles sont l’image.

Il est évident que nous aurons beau analyser le physique et le sensible, nous n’arriverons pas par ce moyen à la Connaissance du Moi ni de nous-mêmes ni de cela que nous appelons Dieu.

Le télescope, le microscope, le scalpel, la cornue et l’alambic ne peuvent pas dépasser le physique, encore qu’ils puissent arriver à des vérités d’ordre physique de plus en plus subtiles.

Si, donc, nous nous bornons à ce que les sens et leurs auxiliaires physiques nous révèlent et que nous refusions dès l’abord d’admettre aucune autre réalité ou aucun autre moyen de connaissance, nous serons obligés de conclure que rien n’est réel sauf le physique, et qu’il n’y a pas de Moi en nous ni dans l’univers, pas de Dieu au-dedans ni au-dehors, pas même de nous-mêmes sauf cet assemblage de nerfs, de cerveau et de corps.

Pourtant, l’analyse intellectuelle en soi ne peut conduire qu’à un arrangement de conceptions claires, peut-être même à un arrangement correct de conceptions vraies ; mais ce n’est pas ce genre de connaissance que le yoga poursuit.

Un homme peut y exceller et pourtant rester exactement ce qu’il était avant, à part le simple fait qu’il possède une illumination intellectuelle plus grande.

Par suite, il est nécessaire que le chercheur de la connaissance écarte ces pierres d’achoppement et qu’il parvienne à une notion juste de lui-même et du monde ; de fait, comment pourrions-nous chercher le vrai moi par la connaissance si nous n’avions aucune notion de ce qu’il est, et si, par contre, nous étions alourdis d’idées parfaitement contraires à la vérité?

L’Oupanishad nous dit que l’Existant-en-Soi a disposé les portes de l’âme de telle sorte qu’elles s’ouvrent du dedans au dehors, et la plupart des hommes regardent dehors et sont plongés dans l’apparence des choses [Katha Oupanishad, 2.1] ; seule l’âme rare qui est mûre pour une pensée calme et une sagesse stable tourne ses yeux au-dedans, voit le Moi et atteint à l’immortalité.

Cette réalisation comprend trois mouvements successifs : la vision intérieure, l’expérience intérieure complète, et l’identité.

La vision intérieure, drishti, pouvoir auquel les anciens sages attachaient une très haute valeur, car il faisait d’un homme un Rishi ou un Kavi [Les Rishi et les Kavi, aux temps védiques, étaient ceux qui avaient vu ou entendu la Vérité éternelle.

Après cette révélation, la lumière peut s’évanouir, des périodes d’obscurité affliger l’âme, mais jamais plus elle ne pourra perdre irréparablement ce qu’elle a une fois possédé.

Cette vision intérieure est une forme d’expérience psychologique ; mais l’expérience intérieure ne se limite pas à cette vision – la vision ouvre seulement, elle n’embrasse pas.

Notre être tout entier, et pas seulement l’œil illuminé de notre connaissance, doit demander Dieu.

Toutes ces connaissances et ces expériences sont des moyens préliminaires d’atteindre et de posséder l’identité.

C’est notre moi que nous voyons et dont nous avons l’expérience, et, par conséquent, la vision et l’expérience sont incomplètes à moins qu’elles ne s’achèvent par une identité et que, dans tout notre être, nous ne soyons capables de vivre la suprême connaissance védântique : je suis Lui.

Non seulement nous devons voir Dieu et l’embrasser, mais nous devons devenir cette Réalité même.

Si nous lisons les poèmes de Wordsworth où il exprime sa réalisation de la Nature, nous pouvons nous faire quelque idée lointaine de ce qu’est la réalisation.

Inconnu(e)     Chapitre 3   La Compréhension Purifiée   Une description de l’état de connaissance auquel nous aspirons nous indiquera les moyens de connaissance que nous emploierons.

En résumé, on peut définir cet état de connaissance comme une réalisation supramentale qui se prépare par des représentations mentales à travers divers principes mentaux en nous et qui, une fois atteinte, se réfléchit plus parfaitement aussi dans toutes les parties de notre être.

Pendant la période de préparation, il est de toute première nécessité de purifier toutes les parties de notre être et, en particulier, sur le chemin de la connaissance, de purifier la compréhension, car c’est la clef qui ouvrira la porte de la Vérité ; or, il est à peu près impossible de purifier la compréhension sans purifier les autres éléments.

Un cœur non purifié, des sens non purifiés, une vie non purifiée, troublent la compréhension, brouillent ses données, déforment ses conclusions, obscurcissent sa vision et appliquent faussement sa connaissance ; un système physique non purifié entrave ou obstrue son action.

La compréhension intellectuelle est simplement la bouddhi inférieure ; il existe une autre bouddhi, plus élevée, qui n’est pas l’intelligence, mais la vision, qui ne consiste pas à aller au-dessous des choses [« not an understanding but an over-standing »] pour les comprendre, mais au-dessus [On décrit souvent l’Être divin comme l’adhyaksha, celui qui est établi au-dessus de tout dans l’éther suprême, qui « sur-veille » les choses, les regarde et les dirige du dessus.

Et nous voyons tout de suite de quelle nature doit être la purification pour que la compréhension puisse remplir correctement son rôle et acquérir la connaissance vraie.

Le commencement de la science est l’examen des vérités de la force cosmique derrière ses œuvres apparentes telles que nos sens nous les présentent ; le commencement de la philosophie est l’examen du principe des choses, faussement traduit par nos sens ; et le commencement de la connaissance spirituelle est le refus d’accepter les limitations de la vie des sens ou de prendre le visible et le sensible pour autre chose qu’un phénomène de la Réalité.

Il faut que l’intellect apprenne à se soumettre passivement à la faculté idéale.

Inconnu(e)     Chapitre 4   Concentration   En même temps que la pureté et parce qu’elle nous aide à l’obtenir, il faut la concentration.

La concentration a trois pouvoirs permettant d’atteindre ce but.

Tout d’abord, par la concentration sur une chose, quelle qu’elle soit, nous sommes capables de connaître cette chose et de l’obliger à révéler ses secrets cachés ; nous devons donc nous servir de ce pouvoir, non pas pour connaître les choses, mais l’unique Chose-en-soi.

Car, ce faisant, nous allons à « l’état suprême de l’Éternel d’où les âmes ne reviennent pas (au mouvement cyclique de la Nature) [yatô naïva nivartanté tad dhâma paramam mama.

Tout d’abord, le râdjayogi doit arriver à une certaine pureté morale et spirituelle ; il doit se débarrasser des activités mentales inférieures tournées vers le bas, mais, par la suite, il doit mettre fin à toutes les activités mentales quelles qu’elles soient, et se concentrer sur l’unique Idée qui conduit de l’activité à l’état d’immobilité.

La concentration râdjayoguique comprend plusieurs étapes : celle où l’objet est saisi, celle où il est fermement tenu, celle où le mental est perdu en l’état que l’objet représente ou auquel la concentration conduit ; et c’est seulement la dernière étape qui reçoit le nom de samâdhi dans le râdjayoga, encore que ce mot soit susceptible, comme dans la Guîtâ, d’un sens beaucoup plus vaste.

Nous ne voulons pas extirper de notre être toute conscience de l’univers, mais réaliser Dieu, la Vérité, le Moi dans l’univers, autant que Dieu qui le transcende.

Car cet infini triple-en-un est Sa suprême manifestation, et c’est cela que nous aspirons à connaître, à partager et à devenir ; et, puisque nous cherchons à réaliser cette Trinité, non seulement en son essence mais en son jeu cosmique, nous aspirerons aussi, nécessairement, à connaître et à partager la Vérité divine universelle, la Connaissance, la Volonté, l’Amour divins universels qui sont Sa manifestation seconde, Son devenir divin.

Et ce n’est pas là simplement un moyen d’approcher la suprême transcendance, un passage dont le seul but serait la suprême transcendance, mais c’est la condition (qui n’empêche pas de posséder le Transcendant et d’être possédés par Lui) d’une vie divine dans la manifestation cosmique.

Suivant l’image des anciens sages, le monde fut créé par Tapas sous forme d’un œuf qui, par Tapas encore (par la chaleur de l’incubation de la Conscience-Force) donna naissance à un oiseau ou âme de la Nature.

L’Etre, fixant sa conscience sur lui-même et pour sa propre béatitude, tel est le Tapas divin ; et une Connaissance-Volonté fixant la force de la conscience sur elle-même et ses manifestations, telle est l’essence de la concentration divine, tel est le Yoga du Seigneur du Yoga.

Ce moyen d’unification avec le Divin est la condition pour atteindre à la connaissance divine, et c’est le principe de tout yoga de la connaissance.

Cette concentration procède par l’Idée et se sert de la pensée, de la forme et du nom comme de clefs qui livrent au mental concentré la Vérité cachée derrière toute pensée, toute forme et tout nom ; car c’est à travers l’Idée que l’être mental s’élève au-delà de toute expression, vers Cela qui est exprimé, Cela dont l’Idée elle-même n’est qu’un instrument.

La pensée peut venir d’abord et l’expérience ensuite, mais il se peut aussi que l’expérience vienne d’abord et que la connaissance jaillisse de l’expérience.

Cette possession tronquée n’est pas le but d’un yoga intégral.

Une autre manière consiste à rejeter les suggestions mentales, les bannir chaque fois qu’elles viennent et à s’accrocher solidement à la paix de l’être, qui est toujours là vraiment, derrière l’agitation et le tumulte du mental.

Sans doute est-il difficile d’harmoniser la vie divine avec la vie humaine, difficile d’être en Dieu et pourtant de vivre en homme, mais, justement, nous sommes ici-bas pour résoudre la difficulté, non pour la fuir.

Peut-être la vie est-elle une insanité, mais tant de millions d’âmes attendent qu’on leur apporte la lumière de la raison divine ; peut-être est-ce un rêve, mais c’est un rêve réel tant qu’on est dedans, réel pour tant de rêveurs à qui l’on doit apprendre à rêver des rêves plus nobles ou à se réveiller – et si c’est un mensonge, alors il faut donner la vérité à ceux qui sont trompés.

Et si c’est un jeu de l’infiniment Existant, nous pouvons bien consentir à jouer notre rôle de bonne grâce et avec courage, et trouver même notre joie dans le jeu comme le fait notre divin Compagnon de jeu lui-même.

Toute volonté personnelle dans la pensée et dans l’action doit être abandonnée si nous voulons être parfaits sur la voie des œuvres divines, nous l’avons vu ; il faut également y renoncer si nous devons être parfaits dans la connaissance divine.

L’enseignement de la Guîtâ nous fait voir toute la subtilité de la libération de l’égoïsme que l’on attend de nous.

Mais le Guide voit autrement, le Guide ne peut pas être trompé par des mots : « C’est la faiblesse, l’illusion, l’égoïsme qui parlent en toi.

Le critère est intérieur, la Guîtâ y insiste.

C’est de se débarrasser du « moi » et du « mien » afin de vivre en le Moi unique et d’agir en le Moi unique ; c’est de rejeter l’égoïsme qui se refuse à travailler comme un centre individuel de l’Être universel, autant que l’égoïsme qui sert le mental individuel, la vie individuelle et le corps individuel à l’exclusion d’autrui.

Et finalement, ce renoncement, ce déni de soi n’est jamais qu’un instrument ; vient un jour où son utilité prend fin.

Pratiquement, cette voie consiste à regrimper la grande échelle de l’être par laquelle l’âme est descendue dans l’existence matérielle.

La Connaissance est donc d’une importance suprême pour l’homme, non pas ce que nous appelons la connaissance pratique de la vie, mais la connaissance profonde du Moi et de la Nature [âtmajnâna et tattwajnâna], sur laquelle seule une vraie pratique de la vie peut se fonder.

L’Âme, encore oublieuse d’elle-même, dit : « Je suis cette vie » ; elle pense qu’elle est la vie, désire avec ses désirs, se vautre dans ses plaisirs, saigne de ses blessures, se précipite ou trébuche avec ses mouvements.

Ou, si elle devient consciente du courant persistant qu’est cette personnalité mentale, elle pensera qu’elle est une âme mentale occupant un corps pour une fois seulement, ou d’une façon répétée, et qu’après la vie sur la terre elle retournera à des mondes mentaux dans l’au-delà ; elle dira que la persistance de cet être mental, tantôt heureux, tantôt malheureux mentalement, tantôt dans un corps, tantôt sur le plan mental ou sur le plan vital de la Nature, est son existence immortelle.

Le mental, la vie et la matière existent ; l’individualisation mentale, vitale et physique existe ; ce sont des faits de la Nature ; mais l’identification de l’âme avec ces phénomènes est une identification fausse.

Le yoga de la Connaissance, partant de cette vérité première, a conçu une double discipline, négative et positive, qui nous aidera à nous débarrasser de ces fausses identifications et à nous détacher d’elles pour entrer dans la vraie connaissance de soi.

La voie ascétique de la Connaissance a aussi une solution et une discipline pour l’âme qui regarde l’univers ; c’est de considérer le Moi immanent qui embrasse tout et constitue tout comme une sorte d’éther en lequel se trouvent toutes les formes, qui existe dans toutes les formes et dont toutes les formes sont faites.

Dans cet éther, la vie cosmique et le mental cosmique se meuvent en tant que Souffle des choses, comme une mer atmosphérique dans l’éthéré, et de cet éther toutes les formes sont constituées ; mais ce qu’il constitue, ce sont seulement des noms et des formes, non des réalités – la forme du pot que nous voyons n’est qu’une forme de terre et retourne à la terre ; la terre, une forme qui se résout en vie cosmique ; la vie cosmique, un mouvement qui repose en cet Éther silencieux et immuable.

Ici aussi quelque invincible réalité doit être à l’œuvre, et si notre connaissance se veut intégrale il faut que nous voyions et réalisions cette réalité, sinon il pourrait être prouvé que c’est notre propre connaissance qui était une duperie illusoire, et non le Seigneur dans l’univers.

Enfin, nous devons nous concentrer encore et voir, réaliser, découvrir que le Moi est l’Existence unique, qui est à la fois l’Âme de tout et la Nature de tout – à la fois Pourousha et Prakriti – et donc capable, à la fois, de s’exprimer à travers toutes ces formes et d’être toutes ces formes.

Ce Moi, Seigneur, Brahman, nous devons le connaître afin de réaliser notre unité avec Lui et avec tout ce qu’il manifeste, et en cette unité nous devons vivre.

Il cherchera dans sa totalité la Vérité de l’existence.

Or, si nous suivons correctement ce principe, nous nous apercevrons qu’en découvrant ce Moi suprême, nous découvrons le Moi unique en tout, l’unique Seigneur de notre nature et de toute Nature, le Tout de nous-mêmes qui est le Tout de l’univers.

Reste à voir comment il faut pratiquement conduire notre discipline pour parvenir à cette grande unification.

Le moyen le plus simple est d’user d’un procédé qui nous est déjà familier puisqu’il a joué un grand rôle dans notre étude du Yoga des Œuvres ; c’est de créer une séparation entre la Prakriti et le Pourousha.

C’est la libération initiale de l’être mental et de sa sujétion au corps, car, si l’on met régulièrement en pratique une connaissance correcte, la libération suit inévitablement.

Finalement, le mental apprendra que le Pourousha du mental est le maître de la Nature et que sa sanction est nécessaire aux mouvements de la Nature.

En fait, c’est là simplement un progrès délibéré de la Nature dans son évolution individuelle, une évolution qu’elle accomplira en tout cas ; mais là, elle choisit d’utiliser la volonté humaine comme agent principal, puisque son but essentiel est de mener le Pourousha à la maîtrise consciente de la Nature.

Mais ici se pose la question de l’action physique ou de l’inaction physique.

Ajoutons, toutefois, qu’il suffit d’en avoir le pouvoir ; l’abstention de toute action physique n’est pas indispensable, l’aversion pour l’activité mentale ou corporelle n’est pas désirable.

En effet, nous menons toujours une double vie, mentale et physique, et la même énergie de vie agit d’une façon différente et revêt un aspect différent suivant qu’elle se prête à l’une ou à l’autre.

Car le corps grossier de l’homme n’est pas comme la pierre ni la terre ; c’est une combinaison de deux « enveloppes » [Kôsha], l’enveloppe vitale et l’enveloppe dite « alimentaire » ; sa vie est faite de l’interaction constante de ces deux enveloppes.

En fait, on ne conquiert complètement le corps que quand on a conquis l’énergie de vie physique.

Mais en nous, êtres mentaux, ces principes se voient attribuer une valeur mentale différente suivant le mental qui les perçoit et les accepte.

Par conséquent, l’énergie de vie psychique se présente à notre expérience comme une sorte de mental de désir que nous devons conquérir si nous voulons revenir à notre vrai moi.

La vraie fonction de l’énergie de vie est de faire ce que le principe divin en nous lui ordonne de faire, de chercher à atteindre ce qui lui est donné par le Divin intérieur et d’en jouir, mais pas du tout de désirer.

Il devient un instrument de plaisir et de peine au lieu d’être un instrument de la félicité de l’existence.

Le Pourousha mental doit donc se séparer de toute identification ou association avec le mental de désir.

D’un côté, le mental émotif où ces humeurs et ces passions continuent de se dérouler suivant l’habitude des modes de la Nature et, de l’autre, le mental observateur qui les regarde, les étudie et les comprend, mais reste détaché.

Ce peut être, si telle est notre volonté, une indifférence, un calme et un silence complets.

Et c’est un stade par lequel l’âme doit généralement passer, mais ce n’est pas le but final que nous nous proposons, car le Pourousha devient aussi le maître qui veut, et sa volonté est de remplacer la fausse jouissance par la vraie jouissance de l’existence psychique.

Ce qu’il veut, la Nature l’exécute.

L’âme véritable émerge et prend la place laissée vacante par le mental de désir.

Il devient libre de la sujétion au mental pensant et capable d’un silence total.

Mais le silence est nécessaire ; c’est dans le silence et non dans la pensée que nous découvrirons le Moi, que nous prendrons conscience du Moi au lieu de le concevoir seulement, et que nous nous retirerons du Pourousha mental pour entrer en cela qui est la source du mental.

La dissolution de cet ego limitatif est la condition essentielle, le moyen nécessaire pour que cette Vie cosmique puisse elle-même parvenir à sa fructification divine, car c’est de cette seule façon que l’individu conscient peut trouver son Moi transcendant, sa vraie Personne.

En effet, la pensée humaine se partage entre deux opposés extrêmes : l’un, mondain et pragmatique, considère la satisfaction du sens de l’ego mental, vital et physique de l’individu ou de la collectivité comme le but de la vie et ne voit pas plus loin ; tandis que l’autre, spirituel, philosophique ou religieux, considère la conquête de l’ego dans l’intérêt de l’âme, de l’esprit ou de quelque ultime entité, comme la seule chose qui vaille suprêmement d’être accomplie.

Le bouddhiste nie l’existence d’un moi réel ou ego, il ne reconnaît pas d’Être universel ni transcendant.

L’adwaïtin, de son côté, déclare que l’âme, individuelle en apparence, n’est pas autre chose que le Moi suprême ou Brahman ; son individualité est une illusion ; se débarrasser de l’existence individuelle est la seule vraie délivrance.

Parmi ces opinions variées et contradictoires, le chercheur de Vérité doit décider par lui-même quelle sera la Connaissance valable pour lui.

L’égoïsme humain et sa satisfaction n’apportent aucune culmination divine, aucune délivrance divine.

Il n’est point de bonheur dans la petitesse de l’être, dit l’Écriture ; l’être large apporte le bonheur.

Mais ce Moi cosmique est spirituel, tant en essence qu’en expérience ; il ne faut pas le confondre avec quelque existence collective ni quelque âme de groupe, ni avec la vie et le corps d’une société humaine, ni même avec l’espèce humaine tout entière.

Car le progrès de l’espèce est fait d’une série de vicissitudes mentales, vitales et physiques constantes ; il n’a pas de contenu spirituel stable et n’offre aucune base solide à l’âme de l’homme.

Si la lumière, la paix, la délivrance et une existence meilleure doivent venir, il faut qu’elles descendent dans l’âme, qu’elles viennent de quelque chose de plus vaste que l’individu, mais aussi de quelque chose de plus haut que l’ego collectif.

C’est cette Source transcendante que nous devons rechercher et servir, cet être, cette conscience plus vastes ; l’espèce et l’individu sont seulement des termes mineurs de son existence.

Certes, derrière l’impulsion pragmatique se cache une vérité qu’une spiritualité exclusive et partiale a tendance à méconnaître et à nier ou à rabaisser, à savoir que l’individu et l’univers sont des termes de cet Être plus haut et plus vaste, et donc que leur accomplissement aussi doit avoir quelque place réelle dans l’Existence suprême.

Les autres formes d’ego (mentales, vitales et corporelles) étaient une idée mitigée d’ego et un sens mitigé de l’ego qui avaient pour support le jeu de la Prakriti ; mais celui-ci est le pouvoir pur et fondamental de l’ego ; il a pour support la conscience du Pourousha mental.

Et parce qu’il semble être au-dessus ou en arrière du jeu, et non dedans, parce qu’il ne dit pas : « Je suis le mental, la vie ou le corps », mais : « Je suis un être dont dépend l’action du mental, de la vie et du corps », nombreux sont ceux qui se croient libérés et qui prennent cet Ego insaisissable pour l’Un, le Divin, le vrai Pourousha, ou au minimum pour la vraie Personne en eux – ils confondent l’indéfinissable et l’Infini.

Cette substance est le Moi de l’homme, que la pensée européenne appelle Monade et la philosophie indienne, Jîva ou Jîvâtman, l’entité vivante, le moi de la créature vivante.

Il est vrai qu’il donne son consentement aux activités de la Nature, qu’il réfléchit ses humeurs et soutient le triple intermédiaire de la pensée, de la vie et du corps par lesquels la Nature projette ses activités sur la conscience de l’âme ; mais, essentiellement, il est une réflexion vivante ou une forme d’âme ou une création directement issue de l’Esprit universel et transcendant.

Cet Esprit est le Moi même de notre moi, il est l’Un, le Très-Haut, le Suprême que nous devons réaliser, l’Existence infinie en laquelle nous devons entrer.

Pour le disciple du yoga intégral, il n’y a aucune hésitation ; chercheur de la connaissance, c’est la connaissance intégrale qu’il doit chercher et non quelque demi-mesure séduisante ni quelque pinacle haut-perché et exclusif.

Le yoga de l’action n’est pas parfait, non plus, n’est pas absolu n’est pas victorieusement complet tant que le chercheur n’a pas senti et vécu son unité essentielle et intégrale avec le Suprême.

Le yoga de la dévotion, de même, n’est complet que quand l’amant et le Bien-Aimé sont un, toute différence abolie en l’extase de l’unité divine ; et pourtant, le mystère de cette unification est que l’unique existence du Bien-Aimé n’annihile pas ni n’absorbe l’existence de l’amant.

Le Jîva en possession de lui-même doit s’abandonner en l’être du Divin.

Si l’on persiste, le point de vue mental de soi-même et du monde entier finit par changer et l’on parvient à une sorte de réalisation mentale ; mais, ensuite, par degrés (ou rapidement parfois et impérieusement, presque dès le début) la réalisation mentale s’approfondit et se change en une expérience spirituelle, c’est-à-dire en une réalisation dans la substance même de notre être.

Des états de plus en plus fréquents se manifestent dans notre être, exprimant quelque chose d’indéfinissable et d’illimité, une paix, un silence, une joie, une béatitude qui dépassent toute expression, le sentiment d’un Pouvoir impersonnel absolu, d’une Existence pure, d’une Conscience pure, d’une Présence qui emplit tout.

Car, même avant que la purification soit complète, si les liens du cœur et du mental égoïstes sont déjà suffisamment usés et desserrés, le Jîva peut, par une rupture soudaine des cordes principales, s’échapper, grimper dans l’espace comme un oiseau délivré, ou s’élargir comme un torrent libéré en l’Un et Infini.

Ces périodes d’alternance sont souvent longues dans le yoga intégral, car ce yoga exige une perfection complète de notre organisme ; celui-ci doit être capable à tout moment et en toutes circonstances, dans l’action comme dans l’inaction, d’abord de recevoir, puis de vivre dans la conscience de la Vérité suprême.

Il ne suffit pas non plus que le sâdhak arrive à la réalisation absolue dans la transe du samâdhi ni dans une quiétude sans mouvement ; il faut qu’en transe comme en éveil, dans la réflexion passive comme dans l’énergie de l’action, il soit capable de rester dans le samâdhi constant d’une conscience solidement établie en le Brahman [Bhagavad Guîtâ].

Mais si notre être conscient est devenu suffisamment pur et clair, nous possédons une position ferme dans la conscience supérieure.

Le Jîva impersonnalisé, uni à l’universel ou possédé par le Transcendant, vit dans une haute station [Oudâsîna : littéralement, « assis au-dessus », mot qui désigne « l’indifférence » spirituelle, c’est-à-dire la liberté sans attache d’une âme touchée par la connaissance suprême.]

Finalement, tout voile disparu, la paix d’en haut domine les perturbations et la mobilité d’en bas.

Un silence permanent s’établit où l’âme peut prendre souverainement possession d’elle-même au-dessus, au-dessous et totalement.

Notre nature agit dans la confusion, elle est contrainte fiévreusement à l’action – le Divin agit librement dans un calme insondable.

Dans cet abîme de tranquillité, nous devons plonger, devenir cet abîme si nous voulons annuler l’emprise de la nature inférieure sur l’âme.

C’est pourquoi le Jîva universalisé monte d’abord dans le Silence ; il devient vaste, tranquille, non agissant.

La voie des œuvres mène à la réalisation du Seigneur, mais la voie de la connaissance ne parle même pas du Seigneur ; il existe seulement le Moi silencieux, et Prakriti qui accomplit ses œuvres, et elle ne les accomplit même pas avec des entités vraiment vivantes, comme il y paraît tout d’abord, mais avec des noms et des formes qui ont une existence en le Moi, mais aucune réalité pour le Moi.

Ces expériences sont le fondement de l’Illusionnisme altier qui s’empare si solidement du mental humain quand il franchit ses plus hautes limites.

Quand la conscience individualisée s’élève à la vérité du jeu cosmique et vit là, alors, même en pleine action, même en possession de l’être inférieur, le Jîva reste toujours un avec le Seigneur, et il n’existe plus de servitude ni d’illusion.

L’esprit et l’existence matérielle sont les échelons haut et bas d’une série ordonnée et progressive.

Entre les deux, il doit donc y avoir une relation réelle et un principe réel de connexion par quoi l’éternel Brahman peut être pur Esprit et Moi, tout en portant en lui-même l’univers qu’il est ; et il doit être possible, pour l’âme qui est une avec l’Éternel ou unie à Lui, d’assumer la même position de relation divine au lieu de notre actuelle immersion ignorante dans le monde.

Ce principe de connexion est l’éternelle unité entre le Moi et toutes les existences ; de cette éternelle unité l’âme libérée doit être capable, comme en est capable le Divin à jamais libre et sans liens ; nous devons réaliser cette unité-là autant que la pure Existence en soi à laquelle nous avions dû viser tout d’abord.

Dans la relation vraie et dans la position de Vérité éternelle, nous devons retrouver le monde de notre existence manifestée peuplé par nos semblables, dont nous nous étions retirés parce que nous étions liés à eux par une relation fausse et dans la position de mensonge créée ici-bas par le principe de la conscience divisée avec toutes ses oppositions, ses discordes et ses dualités.

Bien que nous ayons dit jusqu’à présent que le mouvement de retrait était la première nécessité du Jîva pour parvenir à la Connaissance, comme si ce retrait devait être poursuivi exclusivement et indépendamment, pourtant, pratiquement, il est préférable pour le sâdhak du yoga intégral d’unir les deux mouvements d’intériorisation et d’universalisation.

Certes, il est possible de commencer par le dernier mouvement et de réaliser que toutes choses en cette existence visible et sensible sont Dieu ou Brahman, ou Virât Pourousha, puis d’aller au-delà et de trouver ce qui est derrière le Virât [L’Ame universelle.].

Mais cette méthode a ses inconvénients et il vaut mieux, si nous le pouvons, combiner les deux mouvements.

peut être d’une grande aide pratique pour le sâdhak qui trouverait difficile de méditer sur ce qui, tout d’abord, lui semble une idée abstraite et insaisissable.

Cette sorte de méditation peut mettre le mental dans un état favorable de prédisposition où, par une déchirure ou un retrait du voile, la vision supramentale pourra inonder la mentalité et changer complètement toute notre vision.

Une fois ce changement de vision opéré et à mesure qu’il grandit en puissance et en insistance et qu’il occupe toute notre conscience, il se produit finalement un changement dans notre devenir, si bien que nous devenons ce que nous voyons.

Nous devons non seulement voir qu’il contient et habite tout, mais qu’il est tout ; non seulement qu’il est l’esprit immanent, mais aussi le nom et la forme, le mouvement et le maître du mouvement – qu’il est le mental, la vie et le corps.

Mais si nous voulons embrasser tout cela dans la double position de l’Être et du Devenir, il faut que notre connaissance soit complète et intégrale.

C’est ce qu’entendait l’Oupanishad lorsqu’elle disait du Brahman : « Quand Cela est connu, tout est connu [yasmine vijnâté sarvam vijnâtam, Prashna Oupanishad.] ».

Mais connaître et exprimer vraiment le Suprême n’est pas facile pour l’homme, être mental, parce que la Vérité suprême, et par suite les modes suprêmes de l’existence, sont supramentaux.

Il existe un pouvoir réel et stable de notre être derrière la mutation constante de notre personnalité mentale, vitale et physique, et c’est lui que nous devons connaître et conserver afin qu’à travers lui, l’Infini puisse, selon Sa volonté, se manifester à n’importe quel niveau et à n’importe quelle fin de Son activité cosmique éternelle.

Le sâdhak du yoga intégral aura une conception intégrale du but à atteindre et il cherchera une réalisation intégrale.

L’Unité sera la loi, la différence existera simplement pour la jouissance variée de l’unité.

Notre personnalité n’est jamais la même, c’est un changement constant, une combinaison variée.

L’Immuable est le Moi silencieux, égal, sans action, sans changement, auquel nous atteignons quand nous passons de l’activité à la passivité, du jeu de la conscience, de la force et de la quête de la joie, à la Base constante et pure de la conscience, de la force et de la joie où le Suprême, libre, tranquille et sans attachement, possède le jeu et en jouit.

L’Oupanishad souligne clairement la nature toute relative de cette opposition quand elle décrit le Suprême comme « l’ayant attributs qui est sans attributs [nirgounô gounî] ».

Pratiquement, ils correspondent au Brahman silencieux et au Brahman actif.

Par sa Volonté consciente, son être revêt toutes sortes de propriétés ou de modelages de substance d’être consciente, gouna, toutes sortes d’habitudes cosmiques, si l’on peut dire et de pouvoirs de conscience dynamiques, en quoi le mouvement cosmique tout entier peut se résoudre.

Le nirgouna ou « Sans attributs » n’est pas incapable d’attributs ; au contraire, c’est ce même nirgouna ou « Sans attributs » qui se manifeste dans le sagouna et dans l’anantagouna aux attributs infinis, puisqu’Il contient tout et qu’il a la capacité absolue de se révéler dans une diversité sans limite.

Il est libre d’attributs en ce sens qu’il les dépasse – et en vérité, s’Il n’était pas libre de Ses attributs, Il ne pourrait pas être infini : Dieu serait soumis à Ses attributs, lié par Sa nature, Prakriti serait maîtresse suprême et Pourousha serait sa création et son jouet.

De la paix, de l’équilibre et du silence éternels, le Suprême se déverse dans une activité éternelle – libre, infini, fixant librement ses propres déterminations, utilisant les attributs infinis pour les façonner en des combinaisons variées d’attributs.

Le Dieu Personnel des religions européennes est une personne au sens humain du mot ; il est limité par ses attributs, bien que, par ailleurs, il possède l’omnipotence et l’omniscience ; c’est ce qui correspond aux conceptions indiennes particulières de Shiva ou de Vishnou, ou de Brahmâ, ou de la Mère Divine de toute chose, Dourgâ ou Kâli.

En fait, chaque religion érige, adore et sert une Divinité personnelle différente suivant son cœur et sa pensée.

Le Dieu féroce et inexorable de Calvin est un être différent du Dieu doux et aimant de St.

Pourtant, c’est la seule vérité valable et complète de la Personnalité divine.

C’est ici que notre réalisation du Divin personnel et celle du Divin impersonnel se rencontrent et deviennent une en la Divinité suprême.

L’intellect s’en approche tout d’abord par ce genre de conceptions abstraites, mais la réalisation finit par les dépasser.

Inconnu(e)     Chapitre 12   La Réalisation de Sat-chit-ânanda   Les modes du Moi dont il a été question dans notre dernier chapitre peuvent sembler tout d’abord d’un caractère hautement métaphysique, une conception intellectuelle faite davantage pour une analyse philosophique que pour une réalisation pratique.

D’où l’importance de la partie du yoga de la Connaissance que nous considérons maintenant, c’est-à-dire la connaissance des principes essentiels de l’Être et des modes essentiels de l’Existence-en-soi [tattwa-jnâna] sur lesquels l’Absolu divin a fondé Sa manifestation.

Et la connaissance est encore incomplète si elle nous donne seulement quelque idée sans la possibilité de la vérifier dans l’expérience – nous cherchons la clef, le secret qui nous permettra de gouverner le phénomène par la réalité qu’il représente, de guérir ses discordes par le principe caché de concorde et d’unification qui est derrière, et, par-delà les efforts convergents et divergents du monde, de parvenir à l’harmonie de la plénitude terrestre.

Une connaissance qui laisse béer un gouffre entre les deux ne peut pas être la connaissance ultime, aussi logique qu’elle puisse sembler à l’intelligence analytique ou satisfaisante qu’elle soit pour l’expérience de la division.

Il ne peut pas y avoir pareille dualité originelle en la Toute-Existence, pareil abîme infranchissable entre l’Unité transcendante et Cela qui est toutes les existences.

Aucun de ces termes n’est vraiment séparé, bien que notre pensée et notre expérience mentale puissent non seulement les distinguer mais les séparer.

L’existence que nous sommes réellement, l’éternel « Je suis » dont on ne peut jamais dire vraiment « Il était », n’est nulle part et à nul moment inconscient.

Ce que nous appelons inconscience est simplement une autre conscience ; simplement, nous nous sommes retirés de la vague superficielle de notre perception mentale des objets extérieurs et nous sommes entrés en la perception de notre moi subliminal, et en même temps en la perception des autres plans de l’existence.

Pourtant, nous savons très bien qu’il existe en nous un animal à côté de la part spécifiquement humaine – une créature d’impulsions et d’instincts conscients qui n’est ni réfléchie ni rationnelle, à côté de la part qui est capable de revenir sur son expérience par la pensée et la volonté, de la regarder d’en haut avec la lumière et la force d’un plan supérieur et, jusqu’à un certain point, de la gouverner, l’utiliser et la modifier.

A ces niveaux, Chit, l’universelle substance consciente de l’existence, assume d’autres positions, se meut suivant d’autres modes, d’autres principes et par d’autres facultés d’action.

Tout est Chit, parce que tout est Sat : tout est un mouvement varié de la Conscience originelle, parce que tout est un mouvement varié de l’Être originel.

Quand nous découvrons, voyons ou connaissons Chit, nous découvrons aussi que son essence est Ânanda ou joie de l’existence en soi.

Chit possède éternellement sa béatitude en soi ; et puisque Chit est l’universelle substance consciente de l’être, l’être conscient universel aussi est en possession de la béatitude de soi consciente, maître de la joie universelle de l’existence.

Le Divin, qu’il se manifeste dans la totalité des attributs ou sans attribut, dans la Personnalité ou l’Impersonnalité, dans l’Un qui absorbe la Multiplicité ou en l’Un qui manifeste sa Multiplicité essentielle, est toujours en possession de sa béatitude et de toute béatitude, parce qu’il est toujours Sat-chit-ânanda.

Car l’universel est simplement la coulée de l’existence, de la conscience et de la félicité essentielles ; en quelque lieu et sous quelque forme que Cela manifeste Son existence, se trouve nécessairement la conscience essentielle et, par conséquent, la joie essentielle.

L’âme individuelle ne possède pas sa vraie nature ni ne réalise la vraie nature de son expérience, parce qu’elle se sépare, non seulement de l’essentiel, mais de l’universel en s’identifiant aux accidents séparés, à la forme et au mode non essentiels, à l’aspect, au véhicule séparé.

Savoir comment cette chute s’est produite et dans quel but relève du Sânkhya plutôt que du Yoga.

S’il était facile de s’élever au plan Supramental et, fixé là solidement, de réaliser par le pouvoir et à la manière des facultés supramentales divines le monde et l’être, la conscience et l’action, la sortie de l’expérience consciente et la rentrée, cette réalisation intégrale ne présenterait aucune difficulté essentielle.

L’être divin se fonde sur l’unité et il est le maître des transcendances et de la totalité des choses ; l’être humain se fonde sur une multiplicité séparée dont il est le sujet, quand bien même il est le maître de sa division et de sa fragmentation ou de son difficile soudage et de sa difficile unification.

Par conséquent, quand l’être mental cherche à connaître le divin, à le réaliser, le devenir, il doit d’abord soulever ce couvercle, écarter ce voile.

Ou encore, il voit en lui une suprême Réalité dont son être imparfait est un reflet ou dont il a été détaché ; alors il l’appelle Moi ou Brahman et le qualifie diversement, toujours suivant sa conception ou sa réalisation : Existence, Non-Existence, Tao, Néant, Force, Inconnaissable.

Il y a bien cette grande Conscience-Force inconditionnée et sans limite, mais notre conscience et notre force sont séparées d’elle, même si elles sont en elle ; elles sont limitées, étroites, découragées peut-être, dégoûtées d’elles-mêmes et du monde, mais incapables de participer à cette chose plus haute qu’elles ont vue.

La Divinité nous abandonne ; la Vision s’évanouit ; nous sommes retombés dans la petitesse de notre existence mortelle.

Il faut jeter un pont sur cet abîme, d’une manière ou d’une autre.

Et dès l’instant où nous revenons à la conscience mentale, nous sommes de nouveau dans l’être inférieur.

L’idéal recommandé au yogi qui suit cette méthode est de renoncer à tout désir et aux moindres velléités de la vie humaine ou de l’existence mentale, de se détacher totalement du monde et, finalement, en entrant de plus en plus fréquemment et de plus en plus profondément dans l’état de samâdhi le plus concentré qui soit, de quitter le corps au moment où l’on est dans cet extrême recueillement de l’être, afin de pouvoir passer en l’Existence suprême.

Ceci peut et doit se faire principalement par le pouvoir du mental, qui peut réfléchir ce qu’il connaît, relier à sa propre conscience ce qu’il contemple.

S’il devient actif, il retombe dans la perturbation de la nature mortelle qu’il réfléchit au lieu de réfléchir le divin.

Ou il se fixera sur l’aspect de Conscience, Chit, et l’Existence et la Béatitude dépendront alors de l’expérience du Pouvoir ou de la Force-consciente transcendante et infinie, ce qui aboutit à la réalisation tântrique du culte de l’Énergie.

Il n’est pas tellement difficile d’arriver à un pur infini et de s’y fixer, ni même, simultanément, à une expérience globale et parfaite de l’Existence qui est Conscience, qui est Félicité.

Le mental peut même étendre son expérience de l’Unité à la Multiplicité et percevoir l’immanence de cette Unité dans l’univers et en chaque objet, chaque force, chaque mouvement de l’univers, ou percevoir simultanément cette Existence-Conscience-Béatitude contenant l’univers, enveloppant tous ses objets et donnant naissance à tous ses mouvements.

Séparément, on peut parvenir à n’importe laquelle de ces expériences ; le mental peut aller de l’une à l’autre, rejeter l’une quand il arrive à l’autre, appeler ceci l’existence inférieure et cela l’existence supérieure.

Inconnu(e)     Chapitre 14   Le Brahman Passif et le Brahman Actif   La difficulté que trouve l’être mental à réaliser intégralement l’être vrai et l’être du monde peut se résoudre suivant deux lignes de développement différentes.

C’est-à-dire qu’il peut, par une sorte de processus inclusif d’élargissement de soi et de transformation, opérer sa propre évolution et passer de l’homme matériel à l’homme divin ou spirituel.

Ou bien, il peut viser directement à la réalisation de la pure Existence en soi sur le plan le plus haut de l’être mental et, une fois sur cette base solide, réaliser spirituellement, dans les conditions propres à sa mentalité, le processus par lequel l’Existant-en-soi devient toutes les existences, mais sans descendre dans la conscience égoïste et divisée qui conditionne l’évolution dans l’Ignorance.

Notre propre existence phénoménale, également, fait partie de ce mouvement conceptuel, telle une forme mentale et corporelle mécanique parmi d’autres formes, nous-mêmes étant un nom d’être parmi d’autres noms et nous mouvant automatiquement en ce Moi et dans son immobile perception de soi qui englobe tout.

Car ce Moi est l’Immobile ; il n’engendre pas l’action qu’il tolère et n’y prend pas part.

Ce Moi est le Tout, mais en ce sens seulement qu’il est l’Un infini immuablement existant et contenant tous les noms et toutes les formes.

Quand le Pourousha apprend à ne plus s’identifier, la Prakriti commence à abandonner son impulsion au mouvement ; elle retourne à l’équilibre et au repos.

La conception védântique de cette même position conduit à la philosophie du Moi inactif ou unique réalité du Brahman, tout le reste étant considéré comme des noms et des formes qui viennent se plaquer sur Lui ou se superposer par la fausse activité d’une illusion mentale qui doit disparaître avec la connaissance vraie du Moi immuable et le refus d’accepter la superposition [Adhyârôpa].

Tel est le but final du yoga ascétique qui refuse la vie – ce n’est évidemment pas notre but.

Or, c’est justement cette Volonté et cette Intelligence universelles qui, de même, agissent à travers le yogi – calme, indifférent, intérieurement silencieux, il n’oppose pas à leurs opérations tous les obstacles d’une volonté et d’une intelligence personnelles limitées et ignorantes.

Il demeure en le Moi silencieux ; il laisse le Brahman actif travailler à travers ses instruments naturels, acceptant impartialement et sans y participer les formations de la force et de la connaissance universelles.

Le yogi, dit la Guîtâ, n’agit pas tout en agissant ; ce n’est pas lui qui est à l’œuvre, mais la Nature universelle dirigée par le Seigneur de la Nature.

Il n’est pas lié par ses œuvres, elles ne laissent aucune trace, aucun effet sur son mental, aucune marque sur son âme [na karma lipyaté naré, Isha Oupanishad] ; elles s’évanouissent et se dissolvent sitôt qu’elles s’exécutent [pravilîyanté karmâni, Bhagavad-Guîtâ], laissant le moi immuable et sans trouble et l’âme inchangée.

Il nous reste encore à posséder consciemment le Brahman actif, sans toutefois perdre la possession du Moi silencieux.

Pour l’un, le Brahman passif se tient à distance du Brahman actif et ne prend pas part à sa conscience ; pour l’autre, le Brahman actif se tient à distance du Brahman passif et ne partage pas sa conscience, sans pour autant posséder la sienne totalement.

Et pourtant, à travers toutes Ses mutations, nous réaliserons qu’il est l’Un, libre et au-dessus de toute mutation.

Au lieu d’une solitaire Réalité qui tolère la superposition de noms et de formes, nous verrons un Être éternel qui se projette dans un devenir infini.

Inconnu(e)     Chapitre 15   Conscience Cosmique   Découvrir le Brahman actif et s’unir à Lui, c’est passer de la conscience individuelle à la conscience cosmique – parfaitement ou imparfaitement selon que l’union est partielle ou complète.

En se détachant de toute identification avec le mental, la vie et le corps, il peut sortir de son ego et revenir à la conscience du vrai Individu ou jîvâtman qui est le véritable possesseur du mental, de la vie et du corps.

Nous pouvons parvenir à cette conscience cosmique, devenir cette conscience, de deux manières : latéralement si l’on peut dire, en brisant les murs de l’ego et en nous identifiant à toutes les existences de l’Un, ou d’en haut, en réalisant le Moi pur ou Existence absolue en son pouvoir d’extériorisation et d’immanence, son pouvoir de création et de connaissance qui embrasse tout et constitue tout.

Sur ce fondement, nous pouvons posséder l’univers tout entier au sein de notre être, dans la sécurité de l’existence divine.

Nous percevons que chaque être est le Nârâyana universel qui se présente à nous sous d’innombrables faces ; en Cela nous nous perdons ; en Cela nous découvrons que notre propre mental, notre vie, notre corps sont seulement une représentation du Moi, et, désormais, pour notre conscience, tous ceux que nous considérions autrefois comme les « autres » sont notre moi en d’autres mentais, d’autres vies, d’autres corps.

Quel sera le rapport entre notre existence individuelle et cette conscience cosmique à laquelle nous sommes parvenus?

Tel est le laya, dissolution, ou moksha, libération, à laquelle vise le Yoga de la Connaissance.

Vijnâna est la connaissance simultanée de l’Un et de la Multiplicité, connaissance qui fait voir la Multiplicité en fonction de l’Un, dans le Vrai, le Juste, le Vaste de l’existence divine infinie qui unifie tout.]

D’un côté, il voit l’Infini, le Sans-forme, l’Un, la Paix et la Béatitude, le Calme, le Silence, l’Absolu, le Vaste et le Pur ; de l’autre, il voit le fini, le monde des formes, la multiplicité discordante, le conflit et la souffrance, un bien irréel et imparfait, une activité tourmentée et le succès futile, le relatif, le limité, le vain et le vil.

Ils arrivent à la libération du repos divin, mais non à la liberté de l’action divine ; ils jouissent de la paix du Transcendant, mais non de la béatitude cosmique du Transcendant.

Leur liberté dépend de leur abstention du mouvement cosmique ; elle n’a pas le pouvoir de dominer ni de posséder l’existence cosmique elle-même.

Certes, ils peuvent également réaliser la paix immanente et participer à cette paix en même temps qu’à la paix transcendante, mais la division ne sera pas encore guérie.

La liberté dont ils jouissent est celle du Témoin silencieux et non agissant, non la liberté de la Conscience-Maîtresse divine qui possède toutes les choses, se réjouit en toutes, se projette en toutes les formes de l’existence sans crainte de chute, de perte, d’esclavage ni de souillure.

Il existe un Mental cosmique, une Vie cosmique, un Corps cosmique.

Le yogi est capable de sentir que son corps est un avec tous les corps, de percevoir et même de participer à ce qui les affecte ; constamment il peut sentir l’unité totale de la Matière et percevoir que son être physique est seulement un mouvement dans le mouvement universel [jagatyâm jagat, îsha Oupanishad].

Certes, c’est une grande réalisation – mais c’est le chemin d’une réalisation plus grande encore.

C’est ce que la Guîtâ appelle « accepter toutes les existences comme soi-même dans le chagrin comme dans la joie », c’est le chemin de l’unité par la sympathie, le chemin de la compassion infinie qui mène le bouddhiste à son Nirvâna.

Nous éprouvons la joie des autres, nous souffrons leurs douleurs – cette unité peut même aller jusqu’au corps, comme le raconte l’histoire de ce saint indien qui, voyant un bœuf torturé dans un champ par son maître cruel, cria de douleur avec la douleur de l’animal, et les marques du fouet se trouvèrent empreintes dans sa chair.

Le trait d’union entre les plans spirituels et les plans inférieurs de l’être mental est ce que l’ancienne terminologie védântique appelait vijnâna – ce que nous pouvons appeler le plan de Vérité ou le mental idéal, ou le Supramental ; c’est là que l’Un et le Multiple se rencontrent ; là, notre être est directement ouvert à la lumière révélatrice de la Vérité divine et à l’inspiration de la Volonté et de la Connaissance divines.

Tel était le double mouvement védique de descente et de naissance des dieux dans la créature humaine, puis d’ascension des pouvoirs humains qui luttent pour parvenir à la connaissance, à la puissance et à la félicité divines et s’élèvent jusqu’aux divinités ; l’œuvre s’achevait par la possession de l’Un et de l’existence infinie béatifique, par l’union avec Dieu, l’Immortalité.

Il faut, comme nous l’avons déjà vu, vivre simultanément dans la conscience de l’Absolu transcendant et dans la conscience de l’Absolu présent en toutes les relations ; dans l’Absolu impersonnel et l’Absolu qui s’est manifesté en toutes les personnalités ; dans l’Absolu au-delà de tous les attributs et l’Absolu riche d’une infinité d’attributs – en le silence d’où crée le Verbe éternel, dans une paix et un calme divins, maîtres d’eux-mêmes au sein d’une joie et d’une activité infinies.

Il faut découvrir qu’il sait tout, sanctionne tout, gouverne tout, qu’il contient, soutient et anime tout en tant que Pourousha, et en même temps qu’il exécute toute connaissance, toute volonté et toute formation en tant que Prakriti.

Car tels sont les sept principes de l’être manifesté de Satchidânanda.

Un yoga intégral de la connaissance doit reconnaître la double nature de cette manifestation : la nature supérieure de Satchidânanda où Il est visible, et la nature inférieure du mental, de la vie et du corps où Il est voilé ; et il doit réconcilier, unir les deux en l’illumination d’une réalisation unitaire.

Sans une libre ouverture de ce pouvoir intermédiaire, les deux natures, supérieure et inférieure, restent séparées par l’opposition de l’Esprit et du Mental, et, bien qu’il puisse y avoir communication et influence ou que la nature inférieure puisse être saisie par la nature supérieure dans une sorte de transe lumineuse et extatique, il ne peut pas y avoir de pleine ni parfaite transfiguration de la nature inférieure.

Il révèle la Vérité derrière les suggestions clairsemées et mal assorties de notre mentalité, et chacune trouve sa place en l’unité de la Vérité qui est derrière ; ainsi il peut transformer le clair-obscur de notre mental en une certaine totalité de lumière.

Il révèle la Félicité vers laquelle chacune de nos sensations et de nos émotions s’achemine à tâtons et d’où elles retombent bientôt dans un mouvement de satisfaction à demi saisie ou dans l’insatisfaction, la douleur, le chagrin, l’indifférence, et chacune trouve sa place en l’unité de la Félicité universelle qui est derrière ; ainsi il peut transformer le conflit de nos émotions et de nos sensations dualisées en une certaine totalité de félicité et d’amour, sereins mais profonds et puissants.

En outre, parce qu’il révèle le jeu universel, il montre la vérité essentielle d’où procède chaque mouvement et vers laquelle chacun progresse, la force d’accomplissement que chaque mouvement porte en lui-même, la félicité d’être pour laquelle et de laquelle chacun est né, et il relie tous les mouvements à la conscience, à la force, à la félicité et à l’être universels de Satchidânanda.

Toute notre vie autant que tout notre être essentiel se transforme en une possession de Satchidânanda.

Mais en outre, la connaissance intégrale nous fait percevoir que cette Existence infinie est la Force consciente qui crée et gouverne les mondes et se manifeste en leurs œuvres ; elle nous révèle que l’Existant en Soi, par sa volonté-consciente universelle, est le Seigneur, l’Ishwara.

Par cette connaissance, nous arrivons donc à la possibilité d’une action divine, c’est-à-dire à un fonctionnement qui reste personnel pour notre nature, mais impersonnel pour notre être puisqu’il procède de Cela qui est par-delà notre ego et n’agit qu’avec Sa sanction universelle.

Puisque nous savons qu’il est notre Moi divin, nous devenons un avec Lui, de même que l’amant et le bien-aimé deviennent un, et nous avons l’extase de cet embrassement.

La Connaissance apporte aussi le Pouvoir et la Joie.

« Comment serait-il déçu et d’où aurait-il de la peine, celui qui voit partout l’Unité? » Inconnu(e)     Chapitre 17   L’Âme et la Nature   Rassembler les différentes lignes de notre être en l’unité universelle, tel est le résultat de la connaissance intégrale dans son ensemble.

Et ceci vaut pour tous les principes suprêmes de l’Être divin, nous l’avons vu.

Mais si nous partons d’une conception plus vaste, nous arriverons à une vérité plus complète et à une expérience plus large.

Peu importe comment elle est née ; le fait est là, et non seulement il est là mais il détermine toute notre existence, c’est l’unique fait réellement important pour nous, êtres humains dotés d’une volonté, d’une intelligence et d’une existence subjective qui crée tout notre bonheur et toute notre misère.

Soulevée en l’Esprit, l’âme n’est plus soumise à la Nature ; elle est au-dessus de cette activité mentale.

Mais l’Esprit, le Divin, n’est pas seulement au-dessus de la Nature : il est le maître de la Nature et du cosmos ; l’âme qui s’élève en sa position spirituelle doit au moins être capable de cette même maîtrise en s’unissant au Divin.

Mais, pour cela, il faut qu’elle s’universalise également, car, dans son action sur le monde, c’est la volonté divine universelle qu’elle doit exprimer.

La distinction entre le Pourousha et la Prakriti telle que l’a tracée la Guîtâ nous donne la clef des diverses attitudes que l’âme peut adopter vis-à-vis de la Nature dans sa quête de liberté et de maîtrise parfaites.

L’âme, si elle le veut, peut choisir la position de pur témoin, sâkshi ; elle peut regarder l’action de la Nature en se tenant à l’écart ; elle observe, mais elle-même ne participe pas.

Nous avons vu l’importance de cette capacité quiétiste ; c’est la base du mouvement de retrait qui nous permet de dire de toute chose (du corps, de la vie, de l’action mentale, des pensées, des sensations, des émotions) : « Tout ceci est l’œuvre de Prakriti dans la vie, dans le mental et dans le corps, ce n’est pas moi et ce n’est même pas à moi »; ainsi, nous arrivons à séparer l’âme de ces activités et à les immobiliser.

En tant que pur Témoin, l’âme refuse la fonction de soutien ou de support de la Nature.

Elle ne dit pas : « Tout ceci est en moi et entretenu par moi, une activité de mon être », tout au plus, elle dit : « Ceci m’est imposé et, en réalité, est en dehors de moi. » Mais à moins qu’il n’existe une dualité réelle et évidente dans l’existence, il n’est pas possible que ce soit là toute la vérité de l’affaire ; l’âme est aussi le soutien, son être sert d’appui à l’énergie qui déploie le spectacle du cosmos et qui dirige les énergies cosmiques.

C’est ce qui se produit quand l’âme accepte sa fonction intégrale de seigneur, connaisseur et possesseur de la jouissance de la Nature.

Par conséquent, à mesure que l’âme redevient le connaisseur, elle devient aussi le directeur de l’action.

Et il n’est pas possible qu’elle le devienne sans avoir la jouissance active de l’action, bhôktâ.

Il s’est élevé à la position supérieure et il a pleinement assumé les vraies relations de l’âme et de la Nature.

Inconnu(e)     Chapitre 18   La Libération de l’Âme   Arrêtons-nous maintenant pour examiner à quoi nous engage cette acceptation des relations de Pourousha et de Prakriti, car elle implique que notre yoga n’a pour fin aucun des buts ordinaires de l’humanité.

C’est d’elle que toutes les autres vérités découlent, sur elle qu’elles se fondent, par elle qu’à chaque instant elles sont possibles, et en elle, finalement, qu’elles peuvent se connaître elles-mêmes et connaître les autres, se réconcilier, s’harmoniser, se justifier.

L’Éternel est l’Existence une, infinie, consciente – Pourousha – et non quelque chose d’inconscient et de mécanique ; Il existe éternellement en la félicité de la force de son être conscient qui est à jamais fondé en sa position d’unité ; mais Il existe aussi dans la félicité, non moins éternelle, de la force de son être conscient qui joue dans l’univers avec la diversité de ses propres expériences créatrices.

De même que nous sommes (ou pouvons devenir) conscients d’être à jamais quelque chose hors du temps et sans nom, perpétuel, que nous appelons Moi et qui constitue l’unité de tout ce que nous sommes, et que, pourtant, simultanément, nous pouvons avoir l’expérience variée de ce que nous faisons, pensons, voulons, créons, devenons ; de même le peut la conscience du Pourousha dans le monde.

Nous devons devenir le Pourousha, devenir Satchidânanda, et avoir la joie d’une possession individuelle divine de Prakriti au lieu d’être cet individu mental soumis à sa nature égoïste.

Mais même alors, c’est dans l’être individuel que cette extase ou ce jeu libéré se réalisent ; l’extase est une immersion de notre être mental en l’exclusive expérience de l’unité ; le jeu libéré, une absorption de notre mental en l’être spirituel afin de réaliser librement la félicité de l’unité.

Car la nature même de l’existence divine est toujours de posséder son unité, mais de la posséder aussi dans une expérience infinie et à d’innombrables points de vue, sur d’innombrables plans, à travers d’innombrables pouvoirs conscients ou d’innombrables moi de son Moi, ou, pour employer notre langage intellectuel limité, en d’innombrables individualités de l’être conscient qui est un.

Se tenir éloigné de Dieu dans l’ego limité, dans le mental limité, c’est se tenir éloigné de soi-même et ne pas être en possession de notre vraie individualité, c’est être l’individu apparent et non l’individu réel – c’est notre pouvoir d’ignorance.

Pouvoir vivre d’une façon permanente dans cette nouvelle conscience, la conscience de notre être réel, intégral, c’est atteindre à la libération et jouir de l’immortalité.

La mort est le roi du monde matériel – la vie ici semble n’exister que soumise à la mort et en mourant constamment ; l’immortalité doit être conquise ici-bas avec difficulté et semble naturellement exiger un rejet de toute mort, et, par conséquent, de toute naissance en ce monde matériel.

Car, ce qui décide finalement, c’est la félicité déterminante du Pourousha, le genre de relation qu’il veut établir avec sa Prakriti, l’expérience à laquelle il arrive au bout de la voie qu’il a choisie pour développer son expérience individuelle parmi toutes les possibilités variées de sa nature.

En effet, c’est une démolition de l’ego et un rejet de nos habitudes mentales présentes ; car notre mentalité est soumise à la matière et aux sens physiques ; elle ne conçoit les choses qu’en tant que formes, objets, phénomènes extérieurs ou noms que nous attachons à ces formes.

Nous ne pouvons plus participer à la félicité que Dieu trouve en Son monde ; au contraire, il nous semble que l’Éternel s’est dégradé en admettant dans la pureté de son être la nature grossière de la matière, ou qu’il a falsifié la vérité de son être en imaginant de vains noms et des formes irréelles.

Certes, la vie matérielle n’a plus pour nous sa vieille valeur absorbante, mais elle trouve la valeur plus grande qu’elle a pour le Pourousha divin ; elle n’est plus, à nos yeux, le terme unique de notre devenir, et sa valeur est purement subordonnée aux termes supérieurs du mental et de l’esprit, mais par cette diminution elle augmente de valeur au lieu d’en perdre.

Au contraire, nous percevons qu’ils sont des termes nécessaires à notre propre accomplissement et qu’ils conservent leur valeur après la libération, ou plutôt que c’est seulement après qu’ils acquièrent toute leur valeur réelle.

Ce ne sont plus, et nous ne sommes plus, des ego qui s’excluent mutuellement, chacun cherchant son propre accomplissement indépendant ou sa propre transcendance, et ne cherchant rien autre finalement ; tous sont l’Éternel, et le moi qui est en chacun embrasse tout en lui-même secrètement, et cherche de manières diverses à rendre visible et à réaliser en son être terrestre la vérité supérieure de son unité.

L’état de l’âme libérée est l’état même du Pourousha à jamais libre.

L’extase religieuse intense qui connaît seulement Dieu et nous-mêmes, et se ferme à tout le reste, n’est pour l’âme libérée qu’une expérience intime qui la prépare à partager l’embrassement de l’Amour divin et de la divine Félicité avec toutes les créatures autour d’elle.

Ce qu’elle appelle liberté et maîtrise est simplement une sujétion subtile du mental à Prakriti ; une sujétion plus légère, certes, plus proche de la possibilité de liberté et de maîtrise que la sujétion grossière des êtres vitaux et matériels tels l’animal, la plante et le métal, mais cependant, ce n’est pas la liberté ni la maîtrise réelles.

Dans tous les pays, la connaissance ancienne était imprégnée de cette quête des vérités cachées de notre être et elle a donné naissance à cet immense champ de recherches et de pratiques qu’en Europe on appelle occultisme.

Mais d’abord, il nous faut comprendre ce que nous entendons par plan de conscience ou plan d’existence.

Dans ses relations avec le devenir et son expérience du devenir, cette Existence est ce que nous appelons l’Âme ou Pourousha – l’âme individuelle dans l’individu, l’âme universelle dans le cosmos ; le principe du devenir et ses pouvoirs sont ce que nous appelons la Nature ou Prakriti.

Mais puisque, toujours, l’Etre, la Force consciente et la Félicité d’être sont les trois termes constitutifs de l’Existence, la nature d’un monde donné sera, en fait, déterminée par la manière dont Prakriti sera amenée à traiter ces trois termes primordiaux et par les formes qu’il lui sera permis de leur donner.

Car, nécessairement, l’Existence est et sera toujours le matériau de son propre devenir ; c’est elle qui se modèle en la substance dont la Force doit se servir.

Tout ici-bas, depuis lé commencement, est enfermé dans le sommeil inconscient de la force matérielle et dans ses opérations violentes ; par conséquent, tout devenir matériel doit tendre nécessairement à l’éveil de la conscience dans l’inconscient ; tout couronnement d’un devenir matériel consiste nécessairement à tirer le voile de la matière et à révéler lumineusement à sa propre âme emprisonnée dans le devenir l’Être entièrement conscient.

Car cette âme vit sur un plan d’existence matériel, c’est-à-dire dans une position de Prakriti où la Matière est encore l’élément déterminant des relations de l’âme avec la Nature, et, étant limitée par la Matière, sa conscience ne peut pas être entièrement en possession d’elle-même.

En fait, le monde matériel est réellement une sorte de projection du monde vital, quelque chose qu’il a poussé dehors et séparé de lui afin de donner corps à quelques-uns de ses désirs et de les satisfaire en des conditions qui ne soient pas les siennes, bien qu’elles soient le résultat logique de ses propres appétits les plus matériels.

On peut dire que la vie sur la terre est le résultat d’une pression de ce monde vital sur l’existence matérielle, inconsciente, de l’univers physique.

Le contact s’établit par d’autres couches ou « enveloppes » de notre être, comme il est dit dans les Oupanishad, ou d’autres « corps » selon une terminologie ultérieure : l’enveloppe mentale, ou corps subtil, où vit notre être mental véritable, et l’enveloppe vitale, ou corps vital, la plus étroitement liée à l’enveloppe physique ou « enveloppe de nourriture » et qui forme avec elle le « corps grossier » de notre existence complexe.

Là, le mental, c’est-à-dire l’être psychique et intellectuel, est libre en un sens, ou du moins libre de se satisfaire et de s’accomplir d’une façon à peine concevable pour notre mentalité enchaînée au corps et à la vie ; car là, le Pourousha est l’être mental pur et ses relations avec la Prakriti sont déterminées par cette mentalité plus pure ; c’est une Nature mentale plutôt qu’une Nature vitale et physique.

C’est là que nous trouvons les cieux du psychique et du mental auxquels le Pourousha peut s’élever quand il se dépouille de son corps physique, et c’est là qu’il séjourne jusqu’à ce que l’appel de l’existence terrestre le tire de nouveau en bas.

Mais, nous l’avons dit, ce corps causal est peu développé chez la majorité des hommes, et y vivre ou s’élever aux plans supramentaux tels qu’ils existent en eux-mêmes en dehors de leurs sous-plans correspondants dans l’être mental, ou, davantage encore, y demeurer consciemment, est tout ce qu’il y a de plus difficile pour l’être humain.

On peut y parvenir dans l’extase du samâdhi ; sinon il faut une évolution nouvelle des capacités du Pourousha individuel, et bien peu d’êtres consentent ne serait-ce qu’à concevoir cette possibilité.

La religion est une première tentative de l’homme pour se dépasser lui-même et dépasser les faits matériels évidents de son existence.

L’homme est une âme, non un corps, et sa vie terrestre est l’instrument qui détermine les conditions futures de son être spirituel.

Certaines nous présentent l’Infini comme un Être différent de nous avec qui nous pouvons avoir des relations personnelles ; d’autres comme une existence impersonnelle en laquelle doit se dissoudre notre être séparé ; les unes nous assignent donc pour but des mondes au-delà où nous demeurerons en la présence du Divin, les autres, une cessation de l’existence cosmique par immersion en l’Infini.

Pourtant, derrière toutes les grandes religions, c’est-à-dire derrière le côté exotérique de leur foi et de leur espoir, de leurs symboles, derrière les vérités éparses et les limitations des dogmes, il existe un côté ésotérique de discipline intérieure et d’illumination spirituelle qui donne la possibilité de connaître les vérités cachées, de les réaliser, les posséder.

Par conséquent, cette masse d’expériences graduées qui attendent derrière les portes closes de la conscience – et dont l’homme peut trouver la clef, s’il le veut – relève d’un yoga large de la connaissance qui n’a nul besoin de se borner à la recherche du seul Absolu ni à la seule connaissance du Divin en soi ou du Divin en ses relations isolées avec l’âme humaine individuelle.

Nous pouvons chercher de deux côtés séparément cette connaissance : du côté Pourousha ou du côté Prakriti ; et nous pouvons combiner les deux pour arriver à une possession parfaite des relations variées du Pourousha et de la Prakriti en la lumière divine.

D’abord, l’âme physique ou le moi physique, l’être physique : Pourousha, Âtman ; c’est celle dont nous sommes tous conscients au début et c’est un moi qui semble n’avoir presque pas d’existence en dehors du corps et aucune action vitale ni même mentale indépendante de lui.

Cette âme physique est partout présente dans la Nature matérielle ; elle imprègne le corps, anime obscurément ses mouvements et constitue la base de toutes ses expériences ; elle informe toutes choses, même celles qui ne sont pas mentalement conscientes.

De ce plan, nous voyons le monde du désir et l’existence matérielle comme s’ils étaient au-dessous de nous, et nous pouvons les rejeter si nous le voulons ; en fait, nous les rejetons sans difficulté quand nous quittons ce corps pour nous reposer dans les cieux du mental ou du psychique.

L’hémisphère supérieur est le règne parfait et éternel de l’Esprit ; là, il manifeste sans cesse et sans diminution ses infinitudes et déploie sans voile les gloires de son existence illimitée, de sa conscience, sa connaissance illimitées, de sa force, sa puissance illimitées, de sa béatitude illimitée.

L’hémisphère inférieur appartient aussi à l’Esprit, mais ici Il est étroitement et épaissement voilé par son expression inférieure dans un mental limité, une vie bornée, un corps séparateur.

Par ce regard intérieur, notre conscience normale peut, par une sorte de réflexion, percevoir l’être infini, la conscience et la félicité infinies du Moi, et participer à son infinitude passive ou statique au cœur des choses.

Si, donc, nous voulons comprendre tant soit peu le moyen de transcender la loi d’en bas, il faut à nouveau formuler d’une façon pratique les relations entre les mondes qui constituent les deux hémisphères.

Quand sa position repose sur le principe de la Matière, il devient le moi physique d’un univers physique sous le règne d’une Nature physique ; dès lors l’Esprit est absorbé dans son expérience de la Matière ; il est dominé par l’ignorance et l’inertie du Pouvoir tâmasique propre à l’existence physique.

Car la vie dans la Matière dépend du corps pour ses œuvres ; le mental dans la Matière dépend du corps et du vital, ou être nerveux, pour ses œuvres ; l’esprit lui-même, dans la Matière, est limité et divisé en ses pouvoirs et ses relations avec lui-même par les limitations et les divisions de ce mental gouverné par la Matière et poussé par la vie.

Il est obligé, ainsi qu’il est dit dans l’Oupanishad, d’accepter la Matière comme Brahman, parce que, dans sa vision d’ici-bas, tout est né de la Matière, tout vit par la Matière et tout y retourne à l’heure du départ.

Sa plus haute conception naturelle de l’Esprit est une sorte d’infini, – de préférence un Infini inconscient – habitant ou emplissant l’univers matériel (le seul qu’il connaisse vraiment) et manifestant toutes ces formes autour de lui par le pouvoir de sa présence.

Il peut se concentrer dans le mental et développer la partie mentale de son être (généralement aux dépens de la plénitude de sa vie vitale et physique), jusqu’à ce que le mental prédomine finalement et s’ouvre à l’Au-delà.

Puis il peut concentrer ce mental auto libérateur sur l’Esprit.

La paix du Moi silencieux et passif est plus aisément accessible et il peut la garder plus facilement et plus pleinement ; trop difficile pour lui est la béatitude d’une activité infinie, le dynamisme d’un Pouvoir sans limite.

Mais au lieu de prendre position dans la Matière, l’Esprit peut se fonder sur le principe de Vie.

L’élément physique dans le monde vital modèle volontiers ses activités et ses formations selon le désir vital et ses imaginations ; il sert les passions et le pouvoir de vie, obéit à leurs formations sans les contrecarrer ni les limiter comme il le fait ici-bas sur la terre où la vie est un incident précaire au milieu d’une Matière inanimée.

Cette âme vitale vit dans un corps vital composé d’une substance beaucoup plus subtile que la matière physique ; c’est une substance surchargée d’énergie consciente, douée de perceptions, de capacités et d’activités sensorielles beaucoup plus puissantes que celles que peuvent offrir les éléments atomiques grossiers de la matière terrestre.

À mesure que le pouvoir de ce plan vital se manifeste dans l’homme et se saisit de son être physique, l’enfant de la terre devient un véhicule de l’énergie de vie, il est puissant dans ses désirs, véhément dans ses passions et ses émotions, intensément dynamique dans son action – il est de plus en plus l’homme râdjasique.

Sur le plan vital aussi une parfaite perfection est impossible ; l’âme qui ne parviendrait que jusque-là devrait revenir à la vie physique pour y acquérir une expérience plus grande, un développement plus haut, s’élever plus directement à l’Esprit.

Quand il prend position dans le mental, l’Esprit devient le moi mental d’un monde mental et demeure là sous le règne de sa propre Nature mentale, pure et lumineuse.

Car, plus ce plan se manifeste et influence les parties physiques, plus il enrichit et élève le plan mental correspondant dans notre nature incarnée.

Alors, il pourrait réaliser aussi le Moi ou Esprit avec une intensité beaucoup plus large et plus lumineuse, d’une façon plus intime qu’il n’est maintenant possible, et faire intervenir davantage la béatitude active et le pouvoir actif de l’Esprit dans l’harmonie d’une existence satisfaite.

En vérité, le mental ne pourra jamais être un instrument parfait de l’Esprit ; son fonctionnement ne permet pas une suprême expression de soi, parce que son caractère même est de séparer, de diviser, de limiter.

Certes, le principe Supramental habite secrètement au cœur de toute existence.

L’âme en quête de perfection se retire derrière et en haut, dit l’Oupanishad, elle passe du Pourousha physique au Pourousha vital et du Pourousha vital au Pourousha mental, puis du Pourousha mental à l’âme de connaissance et de ce Moi de connaissance au Pourousha de béatitude.

Ce Moi de béatitude est la base consciente du Satchidânanda parfait ; quand le chercheur est passé en lui, l’ascension de l’âme est achevée.

Inconnu(e)     Chapitre 22   Vijnâna ou Gnose   Quand nous avons parfaitement transcendé notre moi, nous passons au-dessus et en dehors de l’ignorance ou du demi-jour de notre être mental conscient et nous entrons en un Moi de sagesse, un Pouvoir de vérité plus grand et plus haut : nous demeurons en la lumière sans mur de la Connaissance divine.

L’homme mental que nous sommes se change en l’âme gnostique, en la divinité consciente de la Vérité, vijnânamaya pourousha.

Et même si l’âme pouvait refléter ou représenter à la conscience mentale toute l’ampleur de la Connaissance, elle serait encore incapable de la mobiliser correctement dans une force d’action.

C’est la tragédie de l’inefficacité, du hiatus entre l’idéal et la volonté qui réalise, de notre constante incapacité à exprimer en formes vivantes et en action la vérité que nous sentons dans notre conscience intérieure ; cette incapacité poursuit toutes les aspirations du mental et de la vie à la divinité qu’ils sentent derrière eux.

Par la gnose, nous changeons donc notre nature humaine en une nature divine.

Deux erreurs opposées doivent être évitées, deux conceptions erronées qui défigurent deux côtés opposés de la vérité gnostique.

Et l’idéation gnostique, non plus, n’a pas le caractère d’une pensée intellectuelle ; ce n’est pas ce que nous appelons la raison, ce n’est pas une intelligence concentrée.

Les méthodes de la raison sont mentales, ses acquisitions sont mentales, sa base est mentale, tandis que la méthode idéative de la gnose est lumineuse en soi, supramentale ; la pensée-lumière qu’elle émet est spontanée, elle ne provient pas d’une acquisition ; la base de sa pensée est l’expression d’identités conscientes et non une traduction d’impressions suscitées par des contacts indirects.

Certes, il existe une forme supérieure de la bouddhi, que l’on peut appeler le « mental intuitif » ou la « raison intuitive », qui, par ses intuitions, ses inspirations, sa prompte vision révélatrice, sa pénétration et son discernement lumineux, peut faire le travail de la raison avec un pouvoir supérieur, un mouvement plus rapide, une certitude spontanée plus grande.

Mais c’est une supposition erronée, et si l’on s’y fie, elle peut nous conduire à de sérieuses bévues.

Les partisans de l’intellect prétendent même que l’intuition n’est pas autre chose que ce genre de processus rapide qui accomplit tout le travail du mental logique d’une façon accélérée, ou peut-être semi-consciente ou subconsciente, au lieu de procéder délibérément selon la méthode raisonnée.

En fait, cette lumière inférieure peut très bien recevoir un mélange d’intuition réelle et donner naissance à un mental pseudo-intuitif ou semi-intuitif, très trompeur, car ses fréquentes réussites lumineuses recouvrent un tourbillon de fausses certitudes intensément sûres d’elles-mêmes.

Ses inspirations, ses révélations, ses intuitions, ses discernements lumineux sont les messages d’un plan de connaissance plus élevé qui ont eu la chance de pénétrer jusqu’à notre niveau de conscience inférieur.

L’intuition mentale supérieure de l’être humain est une intuition de vision interne, non une intuition sensorielle, car elle illumine l’intelligence et non le mental sensoriel, c’est une lumière consciente, non une lumière aveugle semi-subconsciente – elle fonctionne indépendamment et librement, et non d’une façon mécanique et automatique.

C’est une tâche assez dure pour notre conscience naturellement attachée à ses imperfections et à son ignorance par le triple lien mental, vital et corporel – la triple corde, supérieure, moyenne et inférieure, de la parabole védique de l’esclavage de l’âme : la corde des apparences faite d’un mélange de vérité et de mensonge, qui liait shounahshépa au poteau du sacrifice.

La nature de la gnose ne peut se décrire à l’intellect que par contraste avec la nature de l’intellect, et même alors, les mots que nous sommes obligés d’employer ne peuvent éclairer que s’ils s’accompagnent d’une certaine somme d’expérience pratique.

Car, comment un langage forgé par la raison pourrait-il exprimer le suprarationnel?

Elle peut donc connaître toutes choses comme un homme connaît sa propre existence, simplement, directement, d’une manière convaincante.

La raison s’occupe du fini et elle est impuissante devant l’infini ; elle peut concevoir l’infini comme une extension indéfinie au sein de laquelle se meut le fini, mais l’infini en soi, elle le conçoit mal et ne peut pas du tout le saisir ni le pénétrer.

Si nous voulons décrire la gnose telle qu’elle est pour sa propre perception et non de la façon imparfaite dont elle nous apparaît par contraste avec notre propre raison et notre intelligence, il est presque impossible d’en parler, sauf par des images et des symboles.

Situé entre la triple gloire de l’Esprit absolu – Existence, Conscience et Béatitude infinies de l’Éternel – et la triple nature de notre être inférieur, il semble se présenter comme une sagesse médiatrice, un pouvoir organisateur et formateur, comme la joie créatrice de l’Éternel.

En la gnose, Satchidânanda rassemble la lumière de son existence insaisissable et la déverse dans l’âme sous forme de pouvoir de connaissance divine, de volonté divine et de joie d’être divine.

Mais la gnose n’est pas seulement une lumière : c’est une force ; c’est la connaissance créatrice, la vérité qui accomplit spontanément la divine Idée centrale.

La volonté, dans la gnose, est une force consciente jaillie de la connaissance éternelle ; elle projette la conscience et la substance de l’Être en des formes infaillibles ayant un pouvoir de vérité, et ces formes incarnent l’Idée et la réalisent sans défaut ; enfin la volonté gnostique façonne chaque pouvoir de vérité et chaque forme de vérité spontanément et parfaitement suivant la nature de chaque chose et de chacun.

Cette création est inspirée par la félicité divine, l’éternel Ânanda ; elle est pleine de la joie de sa propre vérité et de son propre pouvoir elle crée dans la joie et par la joie, et ce qu’elle crée est joyeux.

Le Supramental, ou Gnose, est la Vérité suprême, la Pensée suprême, le Verbe suprême, la Lumière suprême, l’Idée-Volonté suprême ; c’est l’extension intérieure et extérieure de l’Infini qui est par-delà l’espace, c’est le temps non enchaîné de l’Éternel qui est hors du temps, l’harmonie souveraine de tous les absolus de l’Absolu.

Un pouvoir suprême qui connaît et reçoit d’en haut l’Existence, la Conscience et la Béatitude infinies et entières de l’Ishwara – à sa hauteur suprême, c’est la connaissance et la force absolues de l’éternel Satchidânanda.

Son deuxième pouvoir concentre l’Infini en une conscience dense et lumineuse, chaïtanyaghana ou chidghana ; c’est l’état-semence de la conscience divine où sont contenus, vivants et concrets les principes immuables de l’être divin et toutes les vérités inviolables de l’idée-consciente et de la nature divines.

Lorsqu’il s’élève au vijnânamaya, le Pourousha mental doit gravir ces trois pouvoirs.

Il doit changer l’étoffe consciente de sa nature mentale en ce chidghana ou conscience dense et lumineuse en soi.

Il doit transformer sa substance consciente en un moi gnostique ou Moi de Vérité de Satchidânanda infini.

Ce triple mouvement est décrit dans l’Isha Oupanishad [Voir Sri Aurobindo, Commentaires sur l’Isha Oupanishad, p. 98 sqq.]

: le premier est vyoûha, la coordination des rayons du Soleil gnostique dans l’ordre de la Conscience-de-Vérité ; le second est samoûha, le rassemblement des rayons dans le corps du Soleil gnostique ; le troisième est la vision de ce Soleil sous sa forme la plus belle quand l’âme possède intimement et absolument son unité avec le Pourousha infini [Soûrya, vyoûha rashmîn samoûha, téjô yat té roûpam kalyânatamam tat té pashyâmi, yo’sâvasau pouroushah sô’hamasmi.

Satyam est la vérité d’être qui agit ainsi, l’essence dynamique de la conscience de vérité.

Brihat est l’infinitude de Satchidânanda d’où procèdent les deux autres et il est leur assise.].

L’être mental, dans le monde mental où il est chez lui, est intelligence de par sa nature centrale déterminante ; il est un centre d’intelligence, un mouvement concentré d’intelligence.

Cette vérité des choses qu’il nous faut atteindre avant de pouvoir entrer en la gnose (car c’est dans la vérité que tout existe sur le plan gnostique et c’est d’elle que tout émane), est, en premier lieu, une vérité d’unité ou d’unicité, mais une unité qui engendre la diversité, une unité qui devient la multiplicité tout en restant toujours une – une unicité indissoluble.

Il faut vraiment que le Pourousha sorte du corps physique et même du corps mental, et qu’il s’élève jusqu’au corps du vijnânamaya.

C’est au-dessus du corps, et non dans le cerveau, que se formeront notre idéation et notre volonté ; l’action cérébrale deviendra simplement un mouvement de réponse du mécanisme physique au choc de la force de pensée et de la force de volonté qui émanent d’en haut.

Car la connaissance supramentale est l’activité d’une lumière suprême, et beaucoup d’autres lumières, beaucoup d’autres niveaux de connaissance plus hauts que le mental humain peuvent s’ouvrir en nous et recevoir ou refléter quelque rayon de cette splendeur avant même que nous nous élevions à la gnose.

Mais pour posséder pleinement la connaissance supramentale et en être le maître, il faut d’abord entrer en l’être de la lumière suprême et devenir cette lumière ; notre conscience doit se transformer en cette conscience ; son principe et son pouvoir de perception (de soi et de tout), par identité, doivent devenir la substance même de notre existence.

Le pouvoir de connaissance Supramental se sert aussi bien des sens subtils que des sens physiques et délivre ceux-ci de leurs erreurs.

L’idée vient d’abord, puis la volonté arrive en trébuchant derrière, ou se révolte contre elle, ou lui sert d’outil imparfait et donne des résultats imparfaits ; ou bien la volonté se met en mouvement d’abord avec une idée aveugle ou myope et élabore quelque produit dans la confusion, puis nous en avons plus tard l’exacte compréhension.

Le Vijnâna reprend la volonté et commence par la mettre en harmonie avec la vérité de la connaissance supramentale, puis en union avec elle.

Ils cessent d’être des souhaits et des désirs, d’abord parce qu’ils cessent d’être personnels, puis parce qu’ils cessent d’être cette lutte pour saisir ce que nous ne possédons pas, que nous appelons envie ou désir.

Car, si la connaissance et la force sont les deux côtés ou les pouvoirs jumeaux de l’action de la conscience, la félicité ou Ânanda (bien supérieure à ce que nous appelons plaisir) est la substance même de la conscience et le résultat naturel d’une action conjuguée de la connaissance et de la volonté, de la force et de la conscience de soi.

Le plaisir et la douleur, la joie et le chagrin sont, les uns comme les autres, des déformations causées par un trouble d’harmonie entre notre conscience et la force qu’elle applique, entre notre connaissance et notre volonté, une rupture de leur unité par une descente à un plan inférieur où elles sont limitées, divisées, privées de la plénitude de leur fonctionnement naturel et en conflit avec d’autres forces, d’autres consciences, d’autres connaissances, d’autres volontés.

Ainsi, dans toutes ses activités, l’être du Vijnâna est l’expression d’un pouvoir de connaissance parfait, d’un pouvoir de volonté parfait et d’un pouvoir de félicité parfait qui ont été haussés à un plan plus haut que le plan mental, vital et corporel.

Le Vijnâna est le Pouvoir-de-Vérité et l’Action-de-Vérité de l’Être divin en ses identités divines, et quand ce Pouvoir agit à travers l’individu qui s’est haussé au plan gnostique, il s’accomplit sans perversion, sans faute et sans réaction égoïste, sans diversion de la possession du Divin.

Car, sur ce plan, l’individu n’est plus l’ego, mais le jîva libre et domicilié en la nature divine supérieure dont il est une parcelle, parâ prakritir jîva-bhoûtâ, domicilié en la nature du Moi suprême et universel qu’il voit jouer à d’innombrables individualités, certes, mais sans le voile de l’ignorance, avec la connaissance de soi, en Son innombrable unicité et dans la vérité de sa Shakti divine.

Le Jîva ne dit plus : « Je pense, j’agis, je désire, je sens »; il ne dit même pas, comme le sâdhak qui cherche à parvenir à l’unité sans l’avoir encore atteinte : « Ainsi qu’il est décrété par Toi qui demeures en mon cœur, ainsi j’agis. » Car le cœur, le centre de la conscience mentale, n’est plus le centre qui met en mouvement, mais simplement un instrument de transmission béatifique.

Au lieu de cela, le sâdhak perçoit le Divin établi au-dessus, seigneur de tout, adhishthita, autant qu’agissant en lui.

C’est l’échelon sûr et lumineux d’où nous pouvons grimper plus haut encore, joyeusement, jusqu’aux infinitudes absolues qui sont l’origine et le but de l’esprit incarné.

Quand l’âme incarnée entre en cette haute béatitude de l’esprit – absolue, sans limite, inconditionnée -, c’est la libération infinie et la perfection infinie.

Et le yogi qui s’engage dans ces réalisations mineures peut les trouver si complètes et si irréfutables qu’il ne pourra rien imaginer de plus grand, rien au-delà.

Car chacun des principes divins contient en soi la potentialité complète des six autres notes de notre être ; chaque plan de la Nature peut arriver à la perfection de ses propres notes dans ses propres conditions.

Elle peut y parvenir, soit par une réflexion de l’Âme et de sa béatitude, de son infinitude et de son pouvoir cachés dans la Nature physique – cachés, mais toujours présents ici -, soit en perdant en le Moi au-dedans ou au-dehors le sentiment de sa substance séparée et de son existence séparée.

C’est une réalisation inerte de Satchidânanda, où n’entrent aucune maîtrise de la Prakriti par le Pourousha, aucune sublimation de la Nature l’élevant à son pouvoir suprême et aux gloires infinies de la Parâ Shakti.

Il y a seulement une possession statique et joyeuse par le Moi au-dedans et, au-dehors, une possession dynamique désordonnée par la Nature vitale et physique.

L’être mental peut même réaliser le Moi sur les trois plans ensemble : mental, vital et physique.

Mais le Mental est simplement capable d’un compromis entre l’infini au-dedans et la nature finie au-dehors ; il est incapable de faire couler avec quelque plénitude l’infinitude de la connaissance, du pouvoir et de la béatitude de l’être intérieur dans son action extérieure, qui reste toujours inadéquate.

Elle possède l’infini du Moi et l’infini de la Nature.

Sur les autres plans, qui sont davantage accessibles à l’être mental, l’homme trouve Dieu en lui-même et se trouve lui-même en Dieu ; il devient divin en son essence plutôt qu’en sa personne ou en sa nature.

L’être mental reçoit et, tout au plus, réfléchit ce qui est vrai, divin, éternel ; l’âme gnostique parvient à une identité véritable : non seulement elle possède l’esprit de la Nature de vérité, mais son pouvoir.

C’est l’Être de Vérité, le Hara-Gauri symbolique de l’iconographie indienne ; c’est le double Pouvoir masculin-féminin né de la suprême Shakti du Suprême et porté par elle.

Quand il s’élève au-dessus du mental et de la vie, et qu’il entre en la gnose, le Pourousha devient le maître de sa nature, parce qu’il n’est plus soumis qu’à la Nature suprême.

L’âme gnostique est un enfant, mais un enfant-roi [Ainsi disait Héraclite : « Le royaume est de l’enfant. »] ; c’est l’enfance royale et éternelle qui possède les mondes tels des jouets, et la Nature universelle entière comme le jardin miraculeux d’un jeu qui ne fatigue jamais.

C’est une passivité heureuse qui est capable de supporter l’inimaginable intensité d’action et d’ânanda de l’Âme de la Nature, et qui n’est pas seulement poussée par la béatitude du Pourousha souverain, mais consciente en même temps d’être la Shakti suprême au-dessus et autour du Pourousha, sa souveraine qui le porte à jamais radieusement sur sa poitrine.

Cet être bi-un, Pourousha-Prakriti, est semblable à un Soleil flamboyant ; c’est un corps de Lumière divine emporté dans son orbite par sa propre conscience et par son propre pouvoir intérieurs, un avec l’universel, un avec la Transcendance suprême.

Sa folie est la sage folie de l’Ananda, c’est l’extase imprévisible d’une conscience et d’un pouvoir suprêmes qui vibrent d’un sens infini de la liberté et d’une intensité infinie en chaque mouvement de sa vie, et chacun de ses mouvements est divin.

Son action est suprarationnelle et, par conséquent, pour le mental rationnel qui n’a pas la clef, elle semble une colossale folie.

Elle obéit à la loi d’une Connaissance, d’une Félicité et d’un Amour maîtres d’eux-mêmes au sein d’une innombrable Unité.

Elle semble anormale parce que son rythme ne peut pas se mesurer d’après les battements timides du mental, et pourtant ses pas suivent une cadence merveilleuse et transcendante.

En fait, on peut découvrir l’Ananda sur tous les plans, parce qu’il existe partout et il est partout le même.

Il existe même une réplique du plan de l’Ananda en chacun des mondes de conscience inférieurs.

La gnose, au contraire, possède la lumière dense de la conscience essentielle [Chidghana], et, dans cette densité, l’intense plénitude de l’Ananda peut exister.

L’infini, l’absolu est la source consciente et l’accompagnement, la condition, la norme, le lieu et l’atmosphère de toutes les activités de la gnose ; c’est sa base et sa source jaillissante, sa substance constitutive, c’est la Présence qui l’habite et l’inspire ; mais dans son action, la gnose semble se détacher de cet absolu, pour ainsi dire, devenir son opération, devenir un mouvement rythmique de ses activités, une Mâyâ [Mâyâ n’est pas pris au sens d’illusion, mais au sens védique originel.

La gnose est la Connaissance-Volonté divine de la Conscience-Force divine, c’est la conscience et l’action harmoniques de Prakriti-Pourousha – elle est pleine de la félicité de l’existence divine.

La joie du contact dans une unité diverse devient totalement la joie de l’identité absolue dans une unité innombrable.

Et l’âme vit – elle n’est pas abolie, elle n’est pas perdue dans un Indéfini sans traits.

Au contraire, comme y insiste l’Oupanishad, l’Ananda est le principe créateur véritable.

Car tout prend naissance en la Béatitude divine [C’est pourquoi le monde de l’Ananda est appelé Janalôka.

C’est seulement quand l’âme enchaînée a perdu son exclusive passion de la liberté que la libération absolue de notre nature peut venir.

Le Divin attire à lui les âmes des hommes par des appâts variés ; tous sont issus des conceptions relatives et imparfaites de l’âme et de sa façon de comprendre la béatitude ; tous sont des moyens de chercher l’Ananda ; mais si l’on s’y accroche jusqu’au bout, on laisse échapper l’indicible vérité des félicités qui surpassent tout.

Le second est une version plus lointaine et plus grandiose de la même erreur fructueuse : c’est l’espoir d’une félicité céleste qui dépasse infiniment ces récompenses terrestres – et la conception du ciel grandit en hauteur et en pureté, jusqu’à ce qu’elle arrive à l’idée pure de la présence éternelle de Dieu ou d’une union sans fin avec l’Éternel.

La suprême Âme de béatitude possède déjà la Connaissance et transcende tout besoin de connaissance.

Dans le mental, dans la vie et dans le corps, le Pourousha est séparé de la Nature, en conflit avec elle.

Le jeu déconcertant de la Nature et de l’âme dans l’Ignorance n’existe plus ; tout est le jeu conscient de l’âme avec elle-même et avec tous ses moi, avec le Suprême et avec la Shakti divine en la nature de béatitude infinie devenue sa propre nature.

Tel est le suprême mystère, le haut secret, simple pour notre expérience, bien que difficile et complexe pour nos conceptions mentales et pour notre intelligence limitée qui s’efforce de comprendre ce qui la dépasse.

En la libre infinitude de la joie de Satchidânanda se trouve le jeu d’un Enfant divin, la râssa lîlâ de l’Amant infini, et les symboles mystiques de son âme se répètent en signes de beauté, en mouvements et en harmonies de félicité dans un éternel à-jamais.

Et puisque Dieu est unité, c’est unifier notre conscience physique avec l’âme et avec la nature de l’univers matériel ; unifier notre vie avec toute la vie ; unifier notre mental avec le mental universel ; identifier notre esprit à l’esprit universel.

En deuxième lieu, le but du Yoga de la Connaissance est de revêtir l’être divin et la nature divine.

Et puisque Dieu est Satchidânanda, c’est élever notre être à l’être divin, notre conscience à la conscience divine, notre énergie à l’énergie divine, et la félicité de notre existence à la joie d’être divine.

Notre mentalité intelligente doit devenir un mouvement de la connaissance-volonté divine ; notre mentalité psychique, un mouvement de l’amour divin et de la félicité divine ; notre vitalité, un mouvement de la vie divine ; notre être physique, un moule de la substance divine.

Cette action de Dieu en nous s’opère par une ouverture de notre être à la gnose divine et à l’Ânanda divin, et elle devient complète par notre ascension en la gnose et en l’Ananda lorsque nous sommes établis là d’une façon permanente.

Et par cette élévation de la vie intérieure, nous pouvons transformer toute notre existence extérieure ; dès lors, au lieu d’une vie dominée par la matière, nous aurons une vie dominée par l’esprit, et toutes les circonstances seront modelées et déterminées par la pureté de l’être, par la conscience infinie au sein même du fini, par l’énergie divine, par la joie divine et la béatitude de l’esprit.

Il y a deux sortes de connaissance : celle qui cherche à comprendre extérieurement le phénomène apparent de l’existence, en l’abordant du dehors, par l’intellect – c’est la connaissance inférieure, la connaissance du monde visible ; et la connaissance qui cherche à connaître du dedans la vérité de l’existence, à sa source et en sa réalité, par la réalisation spirituelle.

De même, l’éthique doit finalement percevoir que la loi du bien qu’elle cherche est la loi de Dieu et dépend de l’être et de la nature du Maître de la loi.

Même l’action nous oblige à entrer en contact avec le Pouvoir divin qui agit à travers nos actes et les utilise, les gouverne.

Il commence par se servir de la connaissance, des émotions, de l’action afin d’entrer en possession du Divin.

Par conséquent, les méthodes du yoga diffèrent des méthodes de la connaissance inférieure.

Seules les méthodes spéciales du yoga peuvent opérer la purification systématique de l’être tout entier, qui permettra de réfléchir et de recevoir intégralement la réalité divine.

La concentration absolue du yoga doit remplacer les concentrations dispersées de la connaissance inférieure ; l’identification vague et inefficace que la Connaissance inférieure peut donner doit être remplacée par l’union complète, intime, impérieuse et vivante qu’apporte le yoga.

En chacun de ces domaines, ou en tous, il peut apporter sa vision illuminée et le pouvoir libéré de l’esprit.

La connaissance inférieure était l’échelon d’où il s’était élevé à la connaissance supérieure ; la connaissance supérieure illumine pour lui l’inférieure et l’intègre, y compris la plus basse frange et la plus extérieure radiation.

Entrer en samâdhi est aussi le suprême échelon de la pratique yoguique du Râdjayoga et du Hathayoga.

L' »état de sommeil » est la conscience qui correspond au plan Supramental et elle est particulière à la gnose, mais ce plan échappe à notre expérience, parce que notre corps causal, ou « enveloppe » de gnose, n’est pas développé en nous, ses facultés ne sont pas actives et, par conséquent, la relation que nous avons avec lui ressemble à celle d’un sommeil sans rêve.

Cette échelle à quatre échelons correspond aux degrés de l’échelle de l’être par lesquels nous remontons au Divin absolu.

Ainsi, pour ceux qui désirent avoir l’expérience des degrés supérieurs, la transe devient un état désirable, un moyen d’échapper aux limitations du mental physique et de la nature physique.

En quittant la vie en état de samâdhi, le yogi parvient directement à l’état d’être supérieur auquel il aspirait.

Dans l' »état de rêve » aussi, il existe une série infinie de profondeurs, depuis la plus légère d’où il est facile d’être rappelé, car le monde des sens physiques est à la porte, bien qu’il soit momentanément exclu, jusqu’aux états profonds où le monde extérieur devient plus lointain et moins capable d’interrompre l’absorption intérieure : le mental est entré dans les profondeurs tranquilles de la transe.

Le yoga se sert de divers procédés pour sceller les portes des sens physiques, y compris quelques procédés physiques, mais un seul moyen suffit à tout, c’est une force de concentration qui tire le mental à l’intérieur, à des profondeurs où l’appel des choses physiques ne peut plus guère l’atteindre.

Non seulement cet état possède magistralement les pouvoirs habituels du mental – raisonnement, discernement, volonté, imagination – et peut s’en servir de n’importe quelle manière, pour n’importe quelle question, à n’importe quelle fin, selon son bon plaisir, mais il est capable aussi de se mettre en communication avec tous les mondes auxquels il a naturellement accès ou auxquels il lui plaît d’avoir accès, depuis le physique jusqu’aux mondes mentaux les plus hauts.

Et ce mental peut prendre connaissance d’événements sur des plans variés, non seulement par des perceptions imagées, mais par une sorte de perception de pensée ou de réception de pensée ou d’impression de pensée, analogue au phénomène de conscience que la science psychique moderne appelle télépathie.

Ensuite, une fois que l’on a appris à le faire, il devient plus facile d’acquérir dans la conscience de veille ce que l’on a déjà acquis dans l’état intérieur et de le changer en une expérience normale, en un pouvoir normal et en un état mental normal de la vie de veille.

Même sur le plan de l’Ananda, qui est encore plus élevé, mais accessible pour nous, l’âme éveillée, de même, peut posséder le Moi de Béatitude tant en son état concentré qu’en son étendue cosmique englobant tout.

Mais il se peut qu’il existe des régions encore plus hautes d’où l’âme soit incapable de ramener aucun souvenir, sauf quelque chose qui dit : « D’une façon quelconque, indescriptiblement, j’étais dans la béatitude » – la béatitude d’une existence non conditionnée échappant à toute possibilité d’expression par la pensée ou de description par l’image et par les signes.

Il se peut même que le sens d' »être » disparaisse dans une expérience où l’existence du monde perd son sens et où le symbole bouddhique du Nirvâna semble être seul et souverainement justifié.

Pourtant, il existe certains sommets d’expérience psychique et spirituelle dont l’expérience directe (par opposition à une expérience réfléchie) ne peut s’acquérir profondément et pleinement qu’au moyen de la transe yoguique.

Cela n’est réalisable qu’en s’élevant à un niveau et à une intensité de conscience supérieurs à ceux que possède notre mentalité ordinaire.

Mais il existe aussi deux grandes disciplines, le Râdjayoga et le Hathayoga, où le samâdhi joue un rôle encore plus grand.

Pour le hathayogi, le corps n’est pas une vulgaire masse de matière vivante, mais un pont mystique entre l’être spirituel et l’être physique ; il s’est même trouvé un ingénieux exégète de la discipline hathayoguique pour expliquer le symbole védântique OM comme l’image du corps humain mystique.

En fait, le Hathayoga est, à sa manière, un système de connaissance ; mais, tandis que le yoga de la connaissance est à proprement parler une philosophie de l’être mise en pratique spirituelle, un système psychologique, le Hathayoga est une science de l’être, un système psycho-physique.

Le Hathayoga aussi est une voie qui conduit au Suprême, quoique son mouvement soit long, ardu, méticuleux, douhkham âptoum.

La jouissance de notre être libéré nous apporte l’unité ou l’union avec le Suprême : c’est le couronnement.

Nous sommes soumis au corps, nous sommes soumis à l’énergie de vie et, bien que nous soyons des âmes et des êtres mentaux, nous ne pouvons poser pour leurs maîtres qu’à un degré très limité.

L’activité normale de notre mental est en grande partie faite d’une agitation désordonnée, elle est pleine de gaspillage et de rapides dépenses d’énergie en toutes sortes d’essais dont bien peu servent aux opérations d’une volonté maîtresse d’elle-même (« gaspillage » de notre point de vue, entendons bien, non du point de vue de la Nature universelle où tout ce qui nous semble un gaspillage sert les desseins de son économie).

C’est le signe d’une constante incapacité du corps à retenir l’énergie, fût-ce l’énergie de vie limitée qui entre en lui ou s’y engendre, et, par conséquent, d’une dissipation générale de la force prânique dont un élément tout à fait infime sert à une activité ordonnée et bien économisée.

Quand l’énergie de vie nous occupe de cette façon et fonctionne d’un mouvement puissant et unifié dans un corps tranquille et passif, libéré des turbulences d’équilibrage entre le pouvoir qui contient et le pouvoir contenu, elle devient une force beaucoup plus puissante et beaucoup plus efficace.

En fait, alors, il semble qu’elle contienne, possède et utilise le corps, plutôt qu’elle ne soit contenue, possédée et utilisée par lui ; de même, un mental actif et agité semble saisir et utiliser irrégulièrement et imparfaitement les forces spirituelles qui peuvent entrer en lui, tandis qu’un mental tranquillisé est saisi, possédé et utilisé par la force spirituelle.

Ceux-ci peuvent finalement être suspendus sans que la vie s’arrête ni soit lésée.

Selon la science yoguique, le Prâna a un quintuple mouvement qui emplit tout le système nerveux et tout le corps matériel, et détermine tous leurs fonctionnements.

Le hathayogi se saisit du mouvement extérieur de la respiration comme d’une sorte de clef qui lui donne le contrôle des cinq pouvoirs du Prâna.

Tout dépend du principe sur lequel le système de Hathayoga fonde le rapport entre le corps, le mental et l’esprit, ou entre le corps grossier et le corps subtil.

Ici, nous rejoignons le Râdjayoga et touchons au point où l’on peut passer de l’un à l’autre.

Inconnu(e)     Chapitre 28   Le Râdjayoga   De même que le corps et le prâna sont pour le hathayogi la clef de toutes les portes fermées du yoga, de même le mental est la clef du râdjayoga.

Elle cherche la clef, la trouve et peut effectuer la délivrance ; car elle tient compte du corps psychique, ou corps mental, qui est derrière, dont le corps physique est une sorte de reproduction dans une forme grossière, et elle peut, de cette façon, découvrir certains secrets du corps physique qui n’apparaissent pas à une enquête purement physique.

L’énergie de l’âme n’est pas entièrement active dans le corps et dans la vie physique, les pouvoirs secrets du mental n’y sont pas éveillés, les énergies corporelles et nerveuses prédominent.

Cette rencontre provoque un profond samâdhi d’union où notre conscience de veille se perd dans le supraconscient.

La seule aide mentale qu’il y ajoute est l’usage du mantra, syllabe sacrée, nom ou formule mystique, qui joue un si grand rôle dans les systèmes de yoga indiens et qui leur est commun à tous.

Plus largement, yama désigne toute discipline de soi qui tend à conquérir l’égoïsme râdjasique, ses passions et ses désirs dans l’être humain, et à les tranquilliser jusqu’à parfaite cessation.

Si l’on y ajoute l’usage du mantra, le prânâyâma fait entrer dans le corps l’énergie divine et prépare, autant qu’il facilite, la concentration en état de samâdhi, couronnement de la méthode râdjayoguique.

Donc, pendant les trois premières étapes, il est nécessaire de se servir d’un moyen ou d’un support mental afin que le mental, habitué à courir d’un objet à l’autre, se fixe sur un unique objet, et cet objet doit être quelque chose qui représente l’idée du Divin.

C’est généralement un nom ou une forme ou un mantra qui aide la pensée à se fixer exclusivement sur la connaissance ou l’adoration du Seigneur.

Il y en a d’autres aussi, qui sont également de caractère râdjayoguique puisqu’elles se servent de l’être mental et psychique comme d’une clef.

Car son action est d’immobiliser les vagues de la conscience et ses activités multiples, chittavritti, d’abord en prenant l’habitude de remplacer la turbulence des activités râdjasiques par le calme lumineux des activités sâttwiques, puis en arrêtant toute activité ; et son but est d’entrer dans une communion silencieuse de l’âme, puis de s’unir au Divin.

Il semblerait donc naturel que ces pouvoirs dussent être évités sur le chemin, et il semblerait qu’une fois le but atteint, ils soient superflus et frivoles.

Ou encore, même s’ils se développent et interviennent naturellement, on peut les rejeter par une dévotion exclusive à l’unique but suprême du yoga.

Inconnu(e)     « Toute la Vie est un Yoga »     TROISIÈME LIVRE     Le Yoga de l’Amour Divin     Chapitre 1   L’Amour et la Triple Voie   La volonté, la connaissance et l’amour sont les trois pouvoirs divins dans la nature humaine et dans la vie de l’homme ; ils indiquent donc les trois voies par lesquelles l’âme humaine peut s’élever au Divin.

Par l’union dans la volonté et dans les œuvres, nous devenons un en l’Être conscient omniprésent dont notre volonté et nos œuvres sont issues et tirent leur pouvoir, et en qui elles remplissent le cercle de leurs énergies.

Le Divin vient à notre rencontre sous bien des aspects, et, de chacun de ces aspects, la connaissance est la clef, si bien que, par la connaissance, nous entrons en l’Infini et possédons le Divin en toutes ses manières d’être, sarvabhâvéna [Baghavad Guîtâ], de même que nous le recevons en nous et sommes possédés par lui dans toutes nos manières d’être.

Et ici, de même, l’amour est le couronnement de la connaissance ; car l’amour est la félicité de l’union ; or, l’unité doit être consciente de la joie de cette union pour découvrir toutes les richesses de sa propre félicité.

En vérité, la connaissance parfaite conduit à l’amour parfait, et la connaissance intégrale, à une richesse d’amour infiniment variée et ronde.

Et si la volonté est le pouvoir par lequel l’être conscient s’accomplit, si, par l’union dans la volonté, nous devenons un avec l’Être en son pouvoir infini caractéristique, cependant toutes les œuvres de ce pouvoir commencent par la félicité, vivent en la félicité, ont la félicité pour but et pour fin ; l’amour de l’Être en soi et dans la totalité de lui-même manifestée par le pouvoir de sa conscience, tel est le chemin de la parfaite largeur de l’Ananda.

L’accomplissement de l’amour n’exclut pas la connaissance ; au contraire, il apporte lui-même la connaissance ; et plus la connaissance est complète, plus la possibilité d’amour devient riche.

Telle est la faiblesse du mental ; par ses pensées, ses idées positives et négatives, il limite les aspects de la Réalité divine qu’il voit et tend à les dresser excessivement les uns contre les autres.

Il n’est pas lié ni borné à une unité exclusive, nous l’avons vu ; son unité se réalise dans une infinie variation et elle possède la plus complète clef de la joie de cet amour varié sans pour autant perdre la joie de l’unité.

L’expérience spirituelle de chaque voie, si on la suit jusqu’au bout, conduit à la même Vérité ultime.

La Guîtâ distingue trois sortes préliminaires de bhakti : celle qui cherche refuge en le Divin contre les chagrins du monde, ârta ; celle qui est mue par le désir et qui s’approche du Divin comme du dispensateur de son bien, arthârthî ; et celle qui est attirée par Ce qu’elle aime déjà sans le connaître encore et qui a soif de connaître cet Inconnu divin, jijnâsou ; mais elle décerne la palme à la bhakti qui connaît.

Au contraire, à mesure que la connaissance du Divin grandit, la félicité en le Divin et l’amour du Divin doivent grandir.

Le ravissement à lui seul n’est pas non plus sans danger, sans le fondement de la connaissance ; vivre en ce que nous aimons nous donne cette sécurité, mais vivre en l’aimé signifie que l’on est un en conscience ; or, l’unité de conscience est la condition parfaite de la connaissance.

Il existe une intensité d’amour, de même qu’il existe une intensité de connaissance, et, pour elles, les œuvres semblent quelque chose d’extérieur et de dissipant.

Quand nous avons trouvé cette unité, les œuvres deviennent le pouvoir même de la connaissance et un jaillissement de l’amour.

Inconnu(e)     Chapitre 2   Les Mobiles de la Dévotion   Toutes les religions partent de la conception d’un Pouvoir ou d’une existence plus grande et plus haute que notre petit moi mortel limité, d’une pensée et d’un culte rendu à ce Pouvoir et d’une obéissance à sa volonté, à sa loi ou à ses ordres.

À son sommet, le yoga abolit le gouffre ; car, qui dit yoga, dit union.

Nous devons rejeter les tuteurs de notre faiblesse, les mobiles de l’ego, les leurres de notre nature inférieure avant de pouvoir mériter l’union divine.

Le rôle énorme que jouent ces mobiles dans l’évolution de l’instinct religieux est indéniable ; en fait, l’homme étant ce qu’il est, ce rôle ne pouvait guère être moindre ; mais même quand la religion a progressé assez loin sur le chemin, nous voyons ces mobiles survivre encore activement et jouer un rôle suffisamment grand, justifiés et appelés qu’ils sont par la religion elle-même pour renforcer son autorité sur l’homme.

Il met Dieu de son côté en le priant et le flattant.

Car, bien que l’on s’en tienne surtout à l’idée d’un Dieu pourvu de qualités à la manière de la nature humaine, il s’y mélange, avec le temps, ou s’y superpose de plus en plus, la conception d’une omniscience, d’une omnipotence, d’une perfection mystérieuse et toute différente de celle de notre nature.

Le yoga procède par une union consciente ; l’être conscient est son instrument ; or, une union consciente avec l’Inconscient ne peut pas être.

Tout le problème tourne autour de cette possibilité de réponse, car, si le Divin est impersonnel et sans forme, sans relations, pareille réponse n’est pas possible et toute approche humaine devient une absurdité – au contraire, nous devons nous déshumaniser, nous dépersonnaliser, annuler notre être humain et toutes les sortes d’être ; nous ne pouvons nous approcher de lui dans aucune autre condition ni par aucun autre moyen.

L’Adwaïtin qui cherche à donner une base religieuse à sa philosophie nue et stérile est obligé d’admettre l’existence pratique de Dieu, ou des dieux, et de leurrer son mental en se servant du langage de l’illusion (Mâyâ).

Le Bouddhisme n’est devenu une religion populaire que du jour où le Bouddha a pris rang de Divinité suprême en devenant l’objet d’un culte.

Nous pouvons lui obéir comme à une Loi, élever nos âmes jusqu’à lui dans une aspiration à son être tranquille, croître en lui en nous dépouillant de notre nature émotive ; l’être humain en nous n’est pas satisfait, mais il est tranquillisé, équilibré, immobilisé.

Et cette demande non plus ne peut pas être condamnée comme irrationnelle, car, si l’Être suprême et universel ne trouvait aucune joie en nous, nous ne voyons pas très bien comment nous serions venus à l’existence ni pourrions continuer à exister ; et s’il ne nous tire pas du tout à Lui, s’il n’y a pas une recherche divine de nous, il semblerait n’y avoir aucune raison dans la Nature pour que nous nous détournions du cercle de notre existence normale pour aller à Sa recherche.

Cela ne veut pas dire que la nature du Divin soit exactement la même que notre nature humaine, sauf qu’elle est d’une échelle plus grande et pure de certaines perversions, ni que Dieu soit un homme magnifié ni un Homme idéal.

Dieu n’est pas et ne peut pas être un ego limité par des qualités comme nous le sommes dans notre conscience normale.

Ce qu’ils voient de lui est une vérité, mais une vérité qui se présente à eux au niveau de leur être et de leur conscience, partiellement, d’une façon déformée, et non au niveau de sa propre réalité supérieure, non sous l’aspect qu’elle revêt quand nous devenons conscients de la Divinité complète.

Par conséquent, les mobiles de la dévotion doivent d’abord se diriger d’une façon absorbante et de plus en plus vers le Divin, puis se transformer pour se débarrasser de leurs éléments plus terre à terre, et finalement prendre position dans un amour pur et parfait.

Telles sont les vérités qui doivent guider notre façon d’aborder le yoga de la dévotion et notre voyage sur ce chemin.

D’autres questions subsidiaires peuvent préoccuper l’intellect de l’homme et, bien qu’elles ne soient pas essentielles, nous serons peut-être amenés à les examiner.

Restent certains problèmes difficiles, comme celui-ci : le Divin a-t-il une forme supraphysique originelle, ou un pouvoir de forme d’où procèdent toutes les formes, ou bien est-il éternellement sans forme?

Mais nous pouvons aussi soutenir cette même vérité de l’unique Existence en disant que tout dans la Nature est le Divin, bien que Dieu soit plus que tout dans la Nature ; dès lors, l’amour devient le mouvement par lequel le Divin dans la Nature et dans l’homme possède et goûte la félicité du Divin universel et suprême.

Inconnu(e)     Chapitre 3   Les Émotions Tournées vers le Divin   Le principe du yoga consiste à tourner vers le Divin tous les pouvoirs de la conscience humaine, ou l’un d’entre eux, afin que, par cette activité de l’être, le contact, la relation ou l’union puisse s’établir.

Certes, le sentiment de crainte est parfaitement compatible avec un certain genre de dévotion, jusqu’à un certain point ; à son sommet, il rejoint l’adoration du Pouvoir divin, de la Justice divine, de la Loi divine, la Rectitude divine, et devient une obéissance éthique, une vénération craintive du Créateur et Juge tout-puissant.

Pour s’approcher davantage du début de la voie de la dévotion, il faut que l’élément de Pouvoir divin se dégage de ces grossièretés et passe à l’idée d’un Souverain divin, créateur du monde et maître de la Loi, gouverneur de la terre et des cieux, et qui est le guide, l’aide et le sauveur de ses créatures.

Cependant, ces conceptions peuvent s’élargir et nous amener plus près du seuil du yoga de la dévotion.

D’abord peut apparaître l’idée du Divin en tant que source, loi et but de notre être éthique et, de là, peut naître la connaissance qu’il est le Moi suprême auquel aspire notre nature active, la Volonté à laquelle nous devons assimiler notre volonté, la Rectitude, la Pureté, la Vérité et la Sagesse éternelles avec lesquelles notre nature doit s’harmoniser – l’Être qui attire notre être.

Par cette voie, nous arrivons au yoga des œuvres, et ce yoga accorde une place à la dévotion personnelle envers le Divin, car la Volonté divine apparaît comme le Maître de nos œuvres et c’est sa voix que nous devons écouter, son impulsion divine que nous devons suivre et son travail qui doit être l’unique tâche de notre vie active et de notre volonté.

Pour employer un langage plus large, revêtir la nature divine, tel est le couronnement de l’être éthique.

Et la meilleure façon d’y parvenir est de réaliser que Dieu est le Moi le plus haut, la Volonté qui guide et élève, ou le Maître que nous aimons et servons.

C’est l’âme humaine qui doit venir librement au Divin et s’offrir à sa force toute-puissante afin qu’il puisse se saisir d’elle et la soulever aux plans divins, lui donner la joie de la maîtrise de la nature finie par l’Infini et la joie du service du Très-Haut qui libère de l’ego et de la nature inférieure.

L’amour est la clef de cette relation et, selon le yoga indien, ce service, dâsyam, est le service joyeux de l’Ami divin, ou le service passionné du Bien-Aimé divin.

Dans la Guîtâ, le Maître des mondes demande à son serviteur, le bhakta, de n’être rien autre que son instrument dans la vie, et il fait cette demande en tant qu’ami, guide, Moi suprême et en se déclarant le « Seigneur de tous les mondes qui est l’ami de toutes les créatures », sarvalôkamahéshwaram souhridam sarvabhoûtânâm ; en fait, les deux relations d’Ami et de Maître doivent aller de pair et nulle ne peut être parfaite sans l’autre.

L’intimité de l’âme humaine et du Divin est le but, et la peur dresse toujours une barrière, une distance ; même la révérence et la crainte du Pouvoir divin sont un signe de distance et de division – elles disparaissent dans l’intimité de l’union d’amour.

Son pouvoir et son sens sont de mettre la volonté, l’aspiration et la foi de l’homme en contact avec la Volonté divine comme avec la volonté d’un Être conscient avec lequel on peut établir des relations conscientes et vivantes.

En matière spirituelle et dans la recherche des gains spirituels, cette relation consciente est un grand pouvoir ; c’est un pouvoir beaucoup plus grand qu’une lutte et qu’un effort personnels qui dépendent entièrement de nous, et il apporte une expérience et un développement spirituels beaucoup plus pleins.

Les relations qui découlent de cette attitude vis-à-vis du Divin sont celles d’un enfant avec le Père divin ou la Mère divine et celles de l’Ami divin.

La relation de l’Ami a quelque chose de plus doux et de plus intime ; elle reconnaît une égalité et une intimité, même dans l’inégalité, et un commencement de don de soi mutuel ; lorsqu’elle se fait très proche et quand disparaît toute idée d’un « autre » qui prend et qui donne, quand elle devient sans motif, sauf le seul motif de l’amour unique qui suffit à tout, elle se change en l’heureuse relation libre du Compagnon de jeu dans la « Lîlâ » de l’existence.

L’âme vient à l’Âme-Mère dans tous ses désirs et dans tous ses tourments, et la Mère Divine veut qu’il en soit ainsi afin qu’elle puisse répandre l’amour de son cœur.

Certes, il existe un désir de possession, mais même ce désir est dépassé dans la plénitude de l’amour pur, et finalement le bhakta demande seulement que sa bhakti puisse ne jamais cesser ni diminuer.

L’amour est un enfant et un chercheur de Félicité, et c’est là qu’il touche à la plus haute extase possible, non seulement dans la conscience du cœur, mais dans chaque fibre de l’être.

En outre, cette relation est celle qui a le plus d’exigences, mais c’est celle qui est le moins satisfaite parmi les êtres humains, même quand elle parvient à ses intensités les plus fortes, parce que c’est seulement en le Divin qu’elle peut trouver sa satisfaction réelle et absolue.

Par conséquent, c’est là surtout que les émotions humaines, lorsqu’elles se tournent vers Dieu, trouvent leur sens complet et découvrent toute la vérité dont l’amour est le symbole humain, et c’est là qu’elles trouvent tous leurs instincts essentiels divinisés, soulevés, satisfaits en cette béatitude d’où notre vie est née et vers laquelle, par l’unité, elle revient à l’Ananda de l’existence divine où l’amour est absolu, éternel et sans mélange.

Elle ne peut donc pas se réduire à une méthode systématique, elle ne peut pas se fonder sur une science psychologique comme le Râdjayoga ni sur une science psycho-physique comme le Hathayoga, ni partir d’un procédé intellectuel précis comme la méthode ordinaire du Jnânayoga.

Elle peut se servir de divers moyens ou supports, et puisque l’homme a une tendance à l’ordre, aux procédés et aux systèmes, il peut essayer de codifier les auxiliaires dont il se sert, mais pour décrire leurs variantes il faudrait passer en revue presque toutes les innombrables religions humaines et leur façon intérieure de s’approcher de la Divinité.

Cet élément est généralement nécessaire parce que la masse des hommes vit dans son mental physique et ne peut rien comprendre sans la force d’un symbole physique, elle ne se sent pas vivre s’il n’y a pas la force d’une action physique.

Quand ce contact commence à poindre en nous, l’adoration devient toujours et en premier lieu un culte intérieur – nous commençons à faire de nous-mêmes un temple du Divin, à faire de nos pensées et de nos sentiments une prière constante d’aspiration et de recherche : notre vie tout entière devient un service et un culte extérieurs.

Quand ce changement se produit, quand cette nouvelle tendance d’âme grandit, la religion des fidèles devient un yoga, un contact et une union croissante.

Mais il existe une consécration de soi plus large, propre à tout yoga intégral, qui accepte l’entièreté de la vie et le monde dans sa totalité comme un jeu du Divin et qui offre l’être tout entier à Sa possession ; tout ce que l’on est et tout ce que l’on a est considéré comme appartenant à Lui seul et non à soi, et toutes les oeuvres sont faites comme une offrande à Lui.

Ce n’est pas essentiellement une contemplation immobile, mais une contemplation extatique ; elle ne cherche pas à passer en l’être du Divin, mais à amener le Divin en nous-mêmes et à nous perdre en l’extase profonde de sa présence ou de sa possession, et sa béatitude n’est point la paix de l’unité mais l’extase de l’union.

Mais dans le yoga de la bhakti, tout prend appui sur la force première de l’union émotive, car c’est par l’amour que l’on arrive à la consécration de soi complète et à la possession complète ; la pensée et l’action deviennent des formes et des images de cet amour divin qui possède notre esprit et ses membres.

C’est l’essence même du pouvoir de l’amour dans le cœur et dans l’âme quand ils se détournent des objets terrestres pour découvrir la source spirituelle de toute beauté et de toute félicité.

Mais le sâdhak du yoga intégral doit connaître la Vérité ultime et éternelle, et il ne peut pas persister indéfiniment dans les délices d’une Ombre.

Tout au plus pourrons-nous prendre la personnalité divine comme un symbole, comme une fiction puissante et efficace, mais finalement nous devrons la dépasser et abandonner la dévotion pour la seule poursuite de la connaissance ultime.

C’est cela qu’il nous faut voir plus clairement si nous voulons nous débarrasser de tous les doutes dont l’intellect cherche à nous affliger quand nous suivons l’impulsion de la dévotion et l’intuition de l’amour, ou dont il voudrait nous poursuivre jusque dans la joie de l’union divine.

En fait, ils tombent devant cette joie, mais si nous sommes trop pesamment alourdis par un mental philosophique, ils peuvent nous poursuivre jusqu’à l’ultime seuil.

Il vaut donc mieux s’en alléger dès que possible en reconnaissant les limites de l’intellect ou du mental philosophique rationnel et de sa manière particulière de s’approcher de la vérité, et même les limites de l’expérience spirituelle qui part de cette approche par l’intellect, et voir qu’elle ne constitue pas nécessairement l’intégralité de l’expérience spirituelle la plus haute ni la plus large.

Ils ne peuvent pas vivre dans les abstractions ; ils ne peuvent trouver leur satisfaction que dans les choses concrètes ou saisissables ; physiquement, mentalement ou spirituellement, leur objet n’est pas un « quelque chose » qu’ils cherchent à discerner ou à atteindre par une abstraction intellectuelle, mais un devenir vivant – une possession consciente de cet objet et une joie consciente de cet objet, voilà ce qu’ils cherchent.

L’intelligence peut également prendre cette direction, mais elle cesse alors d’appartenir à l’intellect pur ; elle fait appel à son pouvoir d’imagination, elle devient l’inventeuse d’images, la Créatrice de symboles et de valeurs, l’artiste et le poète spirituels.

L’un et l’autre sont justifiés par l’expérience spirituelle ; l’un et l’autre arrivent à l’absolu divin de ce qu’ils cherchent.

C’est ce qu’entendait l’ancien Véda quand il s’écriait : « Il existe une Vérité ferme cachée par la vérité (la Vérité éternelle recouverte par cette autre vérité dont nous recevons ici-bas des intuitions inférieures) ; là, les dix centaines de rayons de lumière se tiennent ensemble : cela est Un. » « riténa ritam apihitam dhrouvam .

L’impersonnel est une vérité, le personnel aussi est une vérité ; c’est la même vérité vue de deux côtés de notre activité psychologique ; ni l’un ni l’autre ne donne à lui seul un compte rendu total de la Réalité ; et pourtant, par l’un ou par l’autre, nous pouvons nous approcher de cette Réalité.

Si l’on regarde d’un côté, il semblerait qu’une Pensée impersonnelle soit à l’œuvre et que, pour la commodité de son action, elle ait créé la fiction d’un penseur ; qu’un Pouvoir impersonnel soit à l’œuvre et qu’il ait créé la fiction d’un auteur ; qu’une Existence impersonnelle agisse et qu’elle utilise la fiction d’un être personnel doté d’une personnalité consciente et d’une félicité personnelle.

Cette limitation nous oblige, pour expliquer tout le reste, à attribuer à un Diable ou à prêter à l’homme une capacité créatrice originelle qui aurait produit tout ce que nous considérons comme mauvais ; ou, si nous nous apercevons que cela ne fait pas tout à fait l’affaire, à ériger un pouvoir que nous appelons la Nature, à laquelle nous attribuons toutes les qualités inférieures et toute la masse des actions dont nous ne désirons pas rendre le Divin responsable.

A un degré supérieur, notre octroi d’un mental et d’un caractère à Dieu devient moins anthropomorphique et nous le considérons comme un Esprit infini, mais encore comme une personne séparée, comme un esprit ayant pour attributs certaines qualités divines définies.

Ainsi se conçurent les idées de Personnalité divine et de Dieu personnel si variables d’une religion à l’autre.

Il n’est pas surprenant que la pensée philosophique et sceptique ait eu beau jeu de détruire tout cela intellectuellement, soit dans le sens d’une négation du Dieu personnel et d’une affirmation de la Force impersonnelle ou du Devenir impersonnel, soit dans le sens d’un Être impersonnel ou d’une ineffable négation de l’existence, tout le reste n’étant que des symboles de Mâyâ ou des vérités phénoménales de la conscience temporelle.

Même la conscience semble s’être retirée pour ne laisser qu’une pure existence hors du temps.

Et si nous apportons au Suprême notre cœur autant que notre mental raisonnant, nous nous apercevrons que nous pouvons Le trouver à travers la Personne absolue autant qu’à travers l’impersonnalité absolue.

Nous pouvons penser, sentir et dire que Dieu est Vérité, Justice, Rectitude, Pouvoir, Amour, Félicité, Beauté ; nous pouvons le voir comme une force universelle ou comme une conscience universelle.

Mais c’est seulement une manière abstraite d’avoir l’expérience.

Et nous pouvons l’adorer sous différentes formes de sa nature : un Dieu de rectitude, un Dieu d’amour et de miséricorde, un Dieu de paix et de pureté ; mais il est évident qu’il existe d’autres choses dans la nature divine en dehors de la forme de personnalité sous laquelle nous l’adorons.

Le courage d’une vision et d’une expérience spirituelles intrépides peut le rencontrer aussi sous des formes plus sévères ou plus terribles.

Il est l’Anantagouna, l’infinitude d’attributs, et la Personnalité divine infinie qui se manifeste à travers cette infinitude.

Mais du fond de cet inconnaissable, l’Être conscient, la Personne divine qui s’est manifestée là, dit encore : « Ceci aussi est moi ; même là, par-delà la vue du mental, je suis Lui, le Pouroushôttama. » Car, par-delà les divisions et les contradictions de l’intellect, il est une autre lumière et, là, se révèle la vision de la vérité, que nous pouvons essayer d’exprimer ainsi intellectuellement.

Inconnu(e)     Chapitre 6   La Félicité du Divin   Telle est donc la voie de la dévotion et telle est sa justification par rapport à la connaissance la plus haute, la plus large et la plus intégrale ; et maintenant nous pouvons entrevoir la forme et la place qu’elle prendra dans un yoga intégral.

Le but du yoga synthétique ou intégral que nous envisageons est l’union avec l’être, avec la conscience et avec la félicité du Divin en chaque partie de notre nature humaine, séparément ou simultanément, mais finalement tout doit être harmonisé et unifié afin que tout soit transformé en une nature d’être divine.

Rien de moins ne peut satisfaire celui qui a la vision intégrale, parce que, ce qu’il voit, nécessairement il s’efforce de le posséder spirituellement et, autant que possible, de le devenir.

Car ce mobile aussi peut incliner à une impersonnalité complète, et même s’il conduit à une participation persistante aux activités de la Divinité universelle, nous pouvons rester entièrement détachés et passifs par principe.

Elle ne cherche point Dieu pour quoi que ce soit qu’il puisse nous donner ni pour quelque attribut particulier en lui, mais simplement et purement parce qu’il est notre moi et notre être tout entier, et qu’il est tout pour nous.

Elle embrasse la félicité de la transcendance, non pour l’amour de la transcendance, mais parce qu’il est le Transcendant ; la félicité de l’universel, non pour l’amour de l’universalité, mais parce qu’il est l’Universel ; la félicité de l’individuel, non pour l’amour de la satisfaction individuelle, mais parce qu’il est l’Individu.

Une félicité complète et parfaite en le Divin – parfaite parce qu’elle est pure et qu’elle existe en soi, complète parce qu’elle embrasse tout comme elle absorbe tout -, tel est le sens de la voie de la Bhakti pour le chercheur du yoga intégral.

De même encore, cet amant de Dieu cherchera la perfection parce que la perfection est la nature même du Divin et que, plus il croît en perfection, plus il sent le Bien-Aimé se manifester en son être naturel.

Ou encore, il croîtra tout simplement en perfection, comme la fleur s’épanouit, parce que le Divin est en lui avec la joie du Divin, et plus cette joie grandit en lui, plus l’âme, le mental et la vie aussi grandissent naturellement en divinité.

Il les cherchera parce qu’il aura une claire vision du Divin derrière elles et à cause de la félicité du Divin qui est en elles.

Le pouvoir général de la Félicité est l’Amour, et la forme particulière que revêt la joie de l’amour est la vision de la beauté.

L’amant de Dieu est l’amant universel et il embrasse la Toute-Félicité et la Toute-Beauté.

Elle atteindra son sommet dans une union d’amour parfaite et dans une parfaite jouissance de toutes les manières d’intimité de l’âme avec Dieu.

L’attirance du cœur pour le Divin peut être impersonnelle au début ; ce peut être le contact d’une joie impersonnelle en « quelque chose » d’universel ou de transcendant qui s’est révélé directement ou indirectement à notre être émotif ou à notre être esthétique, ou à notre capacité de félicité spirituelle.

Ce que nous commençons à percevoir ainsi, c’est le Brahman de l’Ananda, l’existence de béatitude.

C’est l’adoration d’une Félicité et d’une Beauté impersonnelles, d’une perfection pure et infinie à laquelle nous ne pouvons donner ni nom ni forme, une attirance intense de l’âme pour une Présence, une Puissance, une Existence idéale et infinie, en ce monde ou par-delà, qui, d’une façon ou d’une autre, devient psychologiquement ou spirituellement sensible pour nous, puis de plus en plus intime et réelle.

Dès lors, posséder toujours la joie et l’intimité de sa présence, connaître ce qu’elle est afin de donner à l’intellect et au mental intuitif la certitude de sa constante réalité, mettre notre être passif en parfaite harmonie avec elle et, autant que nous le pouvons, notre être actif, notre être intérieur immortel et même notre être mortel extérieur, deviennent une nécessité de notre existence.

Sa présence est comparée à un éther secret de béatitude d’être dont l’Écriture dit que, s’il n’était pas, rien ne pourrait respirer ni vivre, fût-ce un moment.

Elle est cachée au-dedans, voilée aux laborieux efforts du mental de surface qui n’en saisit que quelques faibles traductions défectueuses, dont il fait diverses formes de joie de vivre, mentales, vitales et physiques.

Ce reflet peut se présenter tout d’abord comme un intense besoin d’une Beauté universelle que nous sentons dans la Nature et dans l’homme et dans tout ce qui nous entoure ; ou nous pouvons avoir l’intuition d’une Beauté transcendante dont toute la beauté apparente ici n’est qu’un symbole.

Ainsi l’expérience peut-elle commencer à poindre quand l’être émotif est intensément développé.

Quand elle vient, elle semble si satisfaisante, si merveilleuse en soi, et notre mentalité ordinaire, la vie active que nous sommes obligés de mener, si incompatibles avec elle, que nous sommes enclins à croire qu’il est excessif d’en espérer davantage.

Notre expérience doit être purifiée de tout alliage mental, sinon elle nous quitte, nous ne pouvons pas la garder.

Si nous attendons son inspiration pour tous nos actes intérieurs ou extérieurs, elle deviendra la joie du Divin qui répand sa lumière, son amour et son pouvoir à travers nous, sur la vie et sur tout ce qui vit.

L’existence de béatitude peut venir à nous par l’un ou l’autre de ces centres.

Quand le lotus du cœur s’épanouit, nous sentons la joie divine, l’amour et la paix se répandre en nous comme une fleur de lumière qui irradie l’être entier.

Ils peuvent alors s’unir à leur source secrète – le Divin dans notre cœur – et l’adorer comme en un temple ; ils peuvent s’élancer vers le haut pour prendre possession de la pensée et de la volonté, et s’échapper vers le Transcendant ; ils ruissellent en pensées, en sentiments et en actes sur tout ce qui nous entoure.

Mais tant que notre être normal oppose quelque obstacle ou n’est pas entièrement modelé pour répondre à l’influence divine ou pour être l’instrument de cette possession divine, l’expérience reste intermittente et nous pouvons constamment retomber dans notre vieux cœur mortel ; mais à force de répétition, ou par la force de notre désir et de notre adoration du Divin, il sera progressivement remodelé, jusqu’au jour où cette expérience anormale deviendra notre conscience naturelle.

Le Divin se révèle dans le monde autour de nous quand nous regardons ce monde avec un désir de félicité spirituelle qui cherche le Divin en toute chose.

Quand nous possédons fermement la conscience du Brahman de l’Ananda en sa triple manifestation – au-dessus, au-dedans et autour -, nous avons son unité complète et embrassons toutes les existences en sa félicité, sa paix, sa joie et son amour ; alors, tous les mondes deviennent le corps de ce moi.

Car l’Ananda est la présence du Moi, le Maître de notre être, et sa grande coulée dans le monde peut devenir la joie pure de sa lîlâ.

L’Impersonnel peut fort bien révéler au sein de lui-même toutes les richesses de la personnalité si nous allons jusqu’à son cœur, et celui qui cherchait seulement à pénétrer ou à embrasser la Présence infinie peut découvrir en elle des choses qu’il ne soupçonnait pas ; l’être du Divin a pour nous des surprises qui déconcertent les idées de l’intellect limitateur.

En outre, toute conscience implique un pouvoir : Shakti ; s’il y a conscience d’être infinie, il y a pouvoir d’être infini et, par ce pouvoir, tout existe en l’univers.

Elle élargit et raffine l’être normal afin qu’il puisse s’ouvrir sans difficulté à l’entière vérité de Cela qui nous préparait à devenir un temple de sa manifestation.

C’est ce que l’on appelle l’ishta-dévatâ dans le yoga, c’est-à-dire le nom et la forme que notre nature choisit d’adorer.

Toutes nos pensées, toutes nos impulsions, nos sentiments, nos actions doivent lui être référés afin qu’il donne sa sanction ou son refus, ou, si nous ne sommes pas encore capables de cet état, ils doivent lui être offerts en sacrifice d’aspiration afin qu’il puisse descendre de plus en plus en nous et être présent en chacun d’eux, emplir chacun de sa volonté et de son pouvoir, de sa lumière, de sa connaissance, de son amour, de sa félicité.

Sur ce chemin, toutes les relations qui entraînent l’union deviennent intensément et délicieusement personnelles.

Il est le Maître – mais quand nous nous approchons de lui de cette manière, toute distance et toute séparation, tout effroi, toute crainte, toute obéissance pure et simple disparaissent, parce que nous sommes devenus trop proches de lui et trop unis à lui pour que ces choses puissent subsister : c’est l’amant de notre être qui se saisit de nous et nous occupe, nous utilise et fait de nous tout ce qu’il veut.

Avec une félicité passionnée, l’instrument fait sans question tout ce que le Seigneur veut qu’il fasse et endure tout ce que le Seigneur lui fait endurer, parce que, ce qu’il endure, c’est le fardeau de l’être bien-aimé.

L’Amant divin se révèle ; il prend possession de la vie.

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