
comme j’aime le dire aimer demande une force surhumaine
savoir aimer c’est savoir reconnaître intérieurement chez l’autre
qu’il a en lui une âme et un esprit au potentiel de créativité infini
oui il est difficile d’aimer pour la vie quand le temps nous est compté
il est plus facile d’aimer l’humanité que son unicité
c’est a dire l’inconnu le fantasme irréaliste
que l’ont cherche a travers chaque rencontre
Les hommes ne savent pas aimer
Par Alban André
[Applaudissements]Ah, que je t’aime ! Que je t’aime ! C’est de l’énergie, Johnny. Johnny, il est généreux. Voilà une piètre imitation de Jean-Pierre Raffarin en pleine déclaration d’amour pour son idole Johnny Hallyday, célèbre chanteur dont le plus grand titre reste « Optique 2000 ». La scène est dramatique. Comment sommes-nous tombés si bas ? Pourquoi tant d’admiration pour si peu ? Je n’ai rien contre Johnny, mais reconnaissez quand même que « Que je t’aime », il n’y a pas de quoi casser trois pattes à un canard.
Comment sommes-nous tombés si bas ? Oui, avant, on savait y faire pour une déclaration d’amour. Les chevaliers, quand ils revenaient d’un cours, étaient soumis à l’amour courtois et le poème constituait l’apothéose du couple, un orgasme littéraire de tous les instants. Les déclarations d’amour, ça se travaillait un petit peu, ça avait de la tête. Demandez à Daniel Evenous. Ces lettres de Josselin Le Hardy, revenant d’Hastings en 1066, ça marque encore. Daniel, 1000 ans de succès amoureux. Mais quel succès !
Quel succès ! Mais aujourd’hui, vous devez être bien tristes. Il ne reste plus rien de tout cela. Enfin, je veux dire, soyons pragmatiques, lucides, regardons les chiffres. Dites-vous que c’est en 1943, en pleine Seconde Guerre mondiale, que le baby-boom a commencé. Ça veut dire que le soldat des Ardennes qui revenait tout crasseux avec un membre sur deux et la tête redessinée à la Picasso, il avait plus de sex-appeal que nous avec nos crèmes pour les mycoses.
Mais quelle décadence ! Il faut un retour aux sources, à cette génération de « boomers » où tout était possible. On parlait de sexualité partout : sur les barricades, sur les plateaux télé et même sur les enfants. Quelle époque ! Quelle époque !
Mon grand-père, qui fait partie de cette génération de braves et qui, rassurez-vous, a entretenu avec moi un amour tout à fait légal, m’a toujours dit : « Tu sais, Bibou, pour parler aux femmes, c’est pas très compliqué. Tu fais des phrases sujet, verbe, compliment, ça marche toujours. » Mais ce passage de tuyau, c’est ce qui nous manque. Parce que si les hommes sont si mauvais en amour, c’est aussi parce qu’il y a un manque cruel de modèles.
Prenez la littérature. Alors oui, la littérature classique, c’est très beau. Il y a plein d’émotions, de belles paroles, mais globalement, si vous n’êtes pas prince ou riche, ça ne marche pas. Et je ne dis pas qu’il n’y en a pas qui ont fait d’efforts, mais la meilleure issue d’un Zola, c’est quoi ? Une mère de 12 ans qui tombe amoureuse d’un alcoolique ou d’un syphilitique. Je veux dire, ça ne fait rêver personne ce genre de choses.
Alors peut-être, je ne sais pas, tournons-nous vers d’autres modèles un peu plus ambitieux. Pourquoi pas la religion ? Là aussi, globalement, il y a deux camps. D’un côté, les monothéistes, il ne se passe rien. Le père est absent, on tombe enceinte sans toucher personne, il n’y a rien d’instructif. Et de l’autre, les polythéistes où c’est une orgie permanente. L’agora est dévastée. On se transforme en canard pour coucher avec la première paysanne. Enfin, quand ce n’est pas avec sa sœur. Donc bon, l’affaire est terrible. Je ne sais pas.
Inventons une religion où Dieu est père de deux enfants dans une famille recomposée et vit dans la banlieue de Châteauroux. Son texte s’intitulerait « De l’amour ». Il y sera consacré un chapitre à la rédaction d’une lettre et un pèlerinage vers un partage juste des tâches ménagères. Pourquoi pas ? Quoique je suis un peu dur, c’est vrai.
Il y a un modèle accessible, très accessible, qui m’a toujours émerveillé. Il était prêt à tout, à cacher ses problèmes financiers pour maintenir son couple sur un petit nuage, à mentir à tout le monde. Ah, Xavier Dupont de Ligonnès, c’était quelque chose. Mais bon, lui aussi avait sa part d’ombre. Il a pris la tangente. La famille a été terrassée par la nouvelle. Mais pas de faux procès. Ce n’est pas le premier à partir sans raison.
L’homme ne sait pas aimer parce qu’il n’est pas stable. Et ce n’est pas être misandre que de dire cela. L’animal totem de l’homme, ça reste la vache normande. Elle est grosse et moche, mais elle a l’opportunité de brouter la plus fine herbe de France et elle en reprend. C’est un ruminant. Pourtant, malgré ce cadeau de la vie qui permet à l’homme le plus incapable qui soit de trouver le réconfort et la chaleur des bras d’une femme, il ne peut s’empêcher de se demander si l’herbe est plus verte ailleurs. La vache se déplace, le couple est détruit.
Et pourtant, un couple, ce n’est vraiment pas très compliqué. D’ailleurs, vous avez la solution, vous tous, dans vos cuisines. La solution, vous la brandissez chaque soir fièrement. Vous la chérissez en la noyant de liquide vaisselle. Je vous parle bien de votre éponge, mais pas n’importe quelle éponge. Non, la jaune et verte, celle avec un côté qui absorbe et un côté qui gratte.
Parce que, comme l’éponge, le couple s’épanouit dans cet équilibre parfait, cette union sacrée paradoxale qui permet au couple de fonctionner paisiblement. Alors, vous allez vous demander : « Mais comment reconnaître l’un de l’autre ? » La réponse est simple. Le côté qui gratte, d’abord, c’est le leader du groupe, le leader du couple. Les diplomates diront que « non, il a du caractère ». Les plus lucides diront : « Ah non, c’est un casse-couille ». C’est eux qui choisissent le repas d’hier soir, la destination des vacances et le moment propice de la nuit pour demander un verre d’eau.
Mais qui apporte ce verre d’eau ? Précisément le côté qui absorbe. Oui, celui qui a le charisme d’une huître morte, qui répond à toute injonction par « oui, oui bijou, tout de suite », qui subit le repas du soir et la destination des vacances, mais cela lui va si bien.
Cher public, je vous devine déjà, lorsque ce soir, allongé paisiblement sur l’oreiller, vous frémirez, vous chuchoterez doucement cette petite question à demi coupable à votre partenaire : « À ton avis, c’est qui de nous deux qui gratte ? » Misère, lorsque vous vous rendrez compte que vous grattez tous les deux. Et voilà pourquoi le choix du prénom du petit dernier a demandé tant d’effort, un conclave tout entier, trois semaines de tractations pour qu’enfin Habemus papam, il s’appellera Benjamin.
C’est dramatique. Les hommes ne font plus de concessions par amour. Ils n’absorbent plus. Pourtant, rappelez-vous de cette époque bénie où nous absorbions tous à foison. Rappelez-vous votre mère, avec qui vous ne grattiez jamais. Jamais lorsque celle-ci vous a dit : « Dis donc, tu pourrais ranger ta chambre », vous n’avez répondu : « Eh oh, qui c’est qui a taillé là ? ». Non, vous absorbiez. Mais ça, les hommes ne le font plus.
Ceci dit, les hommes savent aimer. Oh oui, il y a quelqu’un d’ailleurs pour qui il cultive un amour soigné, un amour sain, un amour propre. Oh oui, par amour pour soi, nous sommes prêts à tout. Et je vous parle en connaissance de cause. Quelle plus belle déclaration d’amour que de s’inscrire à un concours d’éloquence ? Si nous sommes si nombreux, nous, petits bonhommes prépubères dans nos costumes volés à papa, c’est pas parce que nous sommes bons. C’est parce qu’un matin, on s’est levé, on s’est regardé dans la glace et on s’est dit : « Ils m’applaudiront ».
Alb. Ah, c’est pas fini. Ah non, c’est pas fini. [Musique]
En quelque sorte, l’homme est semblable à l’oiseau. Il déploie sa queue, ça donne à la parade nuptiale, mais au fond, on ne sait pas s’il danse pour l’autre ou pour lui-même. Alors oui, l’homme aime, mais lorsqu’il n’y a plus d’amour-propre, il ne reste que l’amour sale. Lorsque l’oiseau ne chante plus, il siffle dans la rue. Lorsque l’homme n’est plus un homme, il est un mâle.
[Applaudissements] Ça aurait été dommage.